Le mardi 29 décembre 2020 à 23:41 - MAJ mardi 29 décembre 2020 à 23:53
Un homme a été enlevé, séquestré et frappé dans la cave d'une cité de Marseille en juin 2018. Deux policiers sont accusés d'avoir fourni des informations permettant au commanditaire, Youssef*, de retrouver la victime, Amir*, qu'il soupçonnait de lui avoir dérobé des dizaines de kilos de cannabis trois mois plus tôt, en région parisienne raconte Le Monde.
Les deux policiers - un homme affecté à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et une femme à Marseille - ont été mis en examen dans ce dossier en octobre dernier, des chefs de « détournement de finalité de données personnelles » et « association de malfaiteurs en vue de violences volontaires, d’enlèvement et de séquestration en bande organisée ».
Amir a raconté avoir été menacé de mort lorsqu'il a été séquestré. L'un des agresseurs lui aurait placé une arme de poing sur la tempe et l'aurait forcé à respirer un bidon d'essence, lui laissant entendre que son corps serait brûlé. Les ravisseurs l'avaient libéré après qu'il a promis de ramener le cannabis dérobé. Il s'était alors dirigé dans un commissariat pour déposer plainte. Les enquêteurs sont ensuite allés de découverte en découverte.
Un officier de police placé sous le statut de témoin assisté
L'homme qui est accusé d'avoir préparé cet enlèvement, Youssef, un Algérien de 40 ans, est aussi un informateur de la police dont le nom figure dans le fichier des sources de l’ex-Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCTRIS), qui a été remplacé par l'Office anti-stupéfiants (OFAST) le 1er janvier 2020. Un capitaine de police - le fonctionnaire qui traite avec Youssef - a accepté de géolocaliser les téléphones des personnes qu'il soupçonnait d'être à l'origine de ce vol de drogue. Le tout dans le cadre d'une fausse commission rogatoire. L'officier a été placé sous le statut de témoin assisté dans cette enquête indique le quotidien.
C'est le le 16 mars 2018 que Youssef a appris que de la drogue cachée dans son garage en région parisienne avait disparu. Il se trouvait à Lyon ce jour-là pour le mariage de son frère, en compagnie de l'homme qu'il a rapidement soupçonné, Amir. Cinq jours plus tôt, les deux complices avaient transporté ensemble 60 kg de cannabis, de Besançon jusqu'à cette planque en Île-de-France.
Youssef a alors cherché à obtenir la date de naissance d'Amir, afin de pouvoir déverrouiller son téléphone et consulter ses dernières communications. Pour cela, il a sollicité un brigadier de police de Saint-Denis qui assistait lui aussi au mariage. Le fonctionnaire a contacté l'un de ses collègues afin d'obtenir ce renseignement, en se référant à un fichier administratif.
Un mariage blanc avec la policière en échange de 20 000 euros
Lors de son audition à la juge d'instruction de Marseille, Sandrine André, le brigadier a raconté qu'il avait connu Youssef lors d'un contrôle routier durant lequel il avait "communiqué avec lui en arabe". "Il m’a dit que si j’avais besoin d’informations, il pouvait m’en donner. On a sympathisé et on est rapidement devenus proches", a-t-il précisé.
Le fonctionnaire a ensuite présenté son nouvel ami à l'une de ses collègues qui a depuis été mutée à Marseille. Cette dernière a accepté un mariage blanc avec le trafiquant, en 2009, en échange d'une récompense : 20 000 euros réglés par le biais d’une Volkswagen Golf et de plusieurs versements de 2000 euros. "Il risquait d’être expulsé", a-t-elle expliqué. La compagne de la policière a quant à elle réalisé la même démarche frauduleuse avec le frère de l'intéressé.
Les deux policiers sont accusés d'avoir fourni des informations provenant du fichier de Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) et du Système d’immatriculation des véhicules (SIV), à Youssef, qui cherchait à savoir où se trouvait Amir. Les complices de Youssef ont pu exploiter les informations reçues pour le retrouver et localiser sa Xsara Picasso, sur laquelle ils ont installé une balise pour surveiller ses déplacements et ainsi pouvoir l'enlever plus facilement.
Trafic de cocaïne et escroquerie à l'assurance
La policière mise en examen a elle aussi reconnu avoir fourni des renseignements extraits des fichiers de police, à Youssef. "Youssef n'était pas quelqu'un de violent", a-t-elle tenté de justifier au cours de son audition lorsqu'elle a été questionnée sur le sort habituellement réservé, à ceux qui volent de la drogue. Les enquêteurs ont par ailleurs constaté, au cours des écoutes téléphoniques, que la fonctionnaire se livrait à un petit trafic de cocaïne. Son collègue avait de son côté réalisé une escroquerie à l'assurance en signalant le vol de son véhicule, qui avait en fait été incendié... par Youssef.
Les deux fonctionnaires ont également été mis en examen respectivement pour ces deux autres affaires. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire et ont interdiction d'exercer leur métier. A l'issue de la procédure judiciaire, les deux mis en cause pourraient aussi être révoqués de la police nationale.
*les prénoms ont été modifiés