Amboise : Enquête ouverte après les dégradations de la sculpture en hommage au héros algérien Abdelkader

"La République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses œuvres", a réagi le président de la République, Emmanuel Macron.
Amboise : Enquête ouverte après les dégradations de la sculpture en hommage au héros algérien Abdelkader
La sculpture "Passage Abdelkader" de l'artiste Michel Audiard, représentant l'émir Abdelkader, vandalisée avant son inauguration, le 5 février 2022 à Amboise, en Indre-et-Loire. (Guillaume Souvant / AFP)
Par Actu17
Le samedi 5 février 2022 à 16:14 - MAJ samedi 5 février 2022 à 20:06

"Indignation", "honte", "lâcheté": Une sculpture en hommage à l'émir Abdelkader a été vandalisée avant son inauguration samedi à Amboise (Indre-et-Loire), où le héros national algérien a été détenu de 1848 à 1852, suscitant une large condamnation. Cette œuvre pour les 60 ans de l'indépendance de l'Algérie avait été proposée par l'historien Benjamin Stora dans son rapport sur "Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie", remis à Emmanuel Macron en janvier 2021.

Peu avant la cérémonie prévue à 11H00, les passants et la centaine de personnes présentes ont découvert que l'oeuvre intitulée "Passage Abdelkader", signée de l'artiste tourangeau Michel Audiard, représentant l'émir découpé dans une feuille d'acier rouillé, avait été largement dégradée dans la partie basse de la structure.

"L’œuvre était en parfait état depuis sa mise en place il y a dix jours. La police municipale a constaté ce matin, un peu après 08H00, les dégradations. Il n’y a pas de revendication", a indiqué à l'AFP le chef d’escadron de la gendarmerie Hugues Loyez. Le procureur de Tours Grégoire Dulin a annoncé l'ouverture d'une enquête pour "dégradation grave de bien destiné à l'utilité publique et appartenant à une personne publique".

"Rappelons-nous ce qui nous unit. La République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statues", a condamné Emmanuel Macron dans une réaction transmise à l'AFP. La ministre de la Culture Roselyne Bachelot a condamné "fermement" la dégradation. "On a voulu s’attaquer à une œuvre d’art, et au message de réconciliation des mémoires dont elle est porteuse", a écrit la ministre sur Twitter.

Un "acte profondément débile" affirme Gérald Darmanin

S'exprimant en clôture du lancement du Forum de l'islam de France à Paris, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a aussi condamné "cet acte qui est profondément débile". "L’augmentation des actes antireligieux n’est pas un bon signe de santé de la société française", a-t-il dit. Si l'inauguration de la stèle a été maintenue, le maire d'Amboise Thierry Boutard (DVD) a fait part de son "indignation""J’ai eu honte qu'on traite une œuvre d’art et un artiste de cette sorte. Le deuxième sentiment est bien sûr l’indignation. C’est une journée de concorde qui doit rassembler et un tel comportement est inqualifiable", a-t-il déclaré à l'AFP.

L'artiste Michel Audiard a confié sa peine de voir son œuvre en partie détruite. "C'est réellement un saccage prémédité. Il faut une disqueuse, il faut couper, il faut tordre. C'est un acte de lâcheté (...) ce n'est pas signé, c'est gratuit. On était là pour fêter un personnage emblématique dans la tolérance et là c'est un acte intolérant. Je suis atterré", a-t-il lâché.

L’œuvre sera "refaite"

Le maire a également indiqué que l’œuvre serait "restaurée et refaite". L'artiste l'a estimé possible d'ici un mois. Sur les bord de Loire, sous un ciel ensoleillé, la centaine de personnes présentes à l'inauguration avaient le cœur lourd alors que cette journée devait être placée sous le sceau de la réconciliation de la France et de l'Algérie.

"Cela a été fait à la disqueuse, ce ne sont pas des enfants, c'est dommage et en même temps ce n’est pas surprenant avec le discours de haine, le climat nauséabond actuel", a dit Ouassila Soum, Franco-algérienne de 37 ans.

L'ambassadeur d'Algérie en France Mohamed Antar Daoud a dénoncé de son côté "un acte de vandalisme d'une bassesse inqualifiable". "Il faut dépasser cela (…). Le rapprochement franco-algérien continue. Il y a une dynamique, une volonté de part et d'autre d'aller de l'avant".

L'historien Benjamin Stora a dénoncé "l'obscurantisme et l'ignorance" de ceux qui ont vandalisé l’œuvre. "L'émir Abdelkader a eu plusieurs vies. Il a combattu la France bien sûr mais il a été aussi un ami de la France. Ceux qui ont fait ce geste ne connaissent rien à l'histoire de France, ce sont des analphabètes, des incultes qui ne savent pas ce qu'a été l'émir", a regretté M. Stora.

L'émir Abdelkader ibn Mahieddine est une figure de l'Histoire de l'Algérie. Celui qui était surnommé "le meilleur ennemi de la France" a joué un grand rôle dans le refus de la présence coloniale française en Algérie. Il est considéré comme l'un des fondateurs de l'Algérie moderne. Après sa reddition, il a été emprisonné à Pau, Toulon, puis au château d'Amboise de 1848 à sa libération en 1852. Il s'exile ensuite à Damas, où il s'illustre en 1860 en défendant les chrétiens de Syrie, en proie aux persécutions. Cet acte fera de lui un symbole de tolérance. Il sera récompensé de la Grand Croix de la Légion d'honneur.