Le jeudi 28 juillet 2022 à 17:27 - MAJ vendredi 29 juillet 2022 à 12:04
Depuis le début du mois de juillet au moins, un homme se fait passer pour un policier au téléphone auprès de commissariats partout en France. A chaque fois, il explique qu'il appelle pour "passer une personne au fichier" et demande les antécédents judiciaires de celle-ci, qui sont inscrites au TAJ (le fichier de traitement d'antécédents judiciaires, ndlr), mais aussi son adresse et son numéro de téléphone. C'est de cette façon qu'il est parvenu à obtenir des informations confidentielles sur une cinquantaine de personnalités : des influenceurs, des présentateurs télé, des rappeurs, des stars de la téléréalité, ou encore des criminels, entre autres. Ces conversations téléphoniques ont été enregistrées et l'escroc les a diffusées sur un réseau social.
Plus de 1200 personnes sont abonnées à ce compte. Certaines vidéos ont été visionnées des milliers de fois. L'homme a publié encore trois nouveaux enregistrements ce jeudi et il y en avait déjà 44 en ligne. Il affirme systématiquement avoir obtenu le "casier judiciaire" qui recense les condamnations d'une personne. Ce n'est pas le cas : le TAJ est différent puisqu'il permet seulement de savoir lorsqu'une personne a été interpellée, mis en cause, témoin ou victime dans une affaire.
Le mode opératoire est systématiquement le même : l'escroc appelle un commissariat et se fait passer pour un policier en service - généralement de la brigade anticriminalité (BAC) - puis réclame de "passer" une personne au TAJ. Pour tromper la vigilance du fonctionnaire au bout du fil, il montre une certaine assurance et utilise des termes techniques. L'auteur a notamment appris l'alphabet militaire ("alpha", "bravo", "charlie"...) utilisé pour épeler le nom et le prénom d'une personne, et ainsi éviter une erreur. Il n'hésite pas non plus à donner parfois le faux indicatif d'un équipage auquel il appartiendrait (un terme composé de lettres et de chiffres, utilisé pour reconnaître les différentes patrouilles sur les ondes police, ndlr).
«C'est la BAC, c'est pour un TAJ s'il-te-plaît»
La voix de l'escroc a été modifiée sur chacun des enregistrements publiés, mais jamais celle du policier qui répond. Sur l'un des audios, où la conversation téléphonique est entière, l'escroc ne perd pas une seconde : "C'est la BAC, c'est pour un TAJ s'il-te-plaît", lâche-t-il dès le début de l'échange. Le policier au bout du fil ne pose aucune question et accède à sa demande. L'appel concerne cette fois les antécédents judiciaires d'un célèbre rappeur... qu'il finit par obtenir en quelques minutes. Sur une autre vidéo, le policier qui décroche demande des précisions sur le fonctionnaire de la BAC qui l'appelle, car il semble ne pas le reconnaître. Mais après quelques échanges - qui ont été volontairement brouillés - l'escroc finit par obtenir les antécédents judiciaires d'un homme, qui est une star de la téléréalité. Certaines conversations diffusées en ligne démarrent seulement au moment où le policier donne le contenu du TAJ.
"Il a parfois prétexté que le système informatique de son commissariat était en panne et qu'il avait besoin de passer ces fichiers par téléphone. C'est une méthode parfois utilisée pour se dépanner entre services", confie une source proche de l'enquête. "Il arrive aussi que des policiers de terrain appellent leur station directrice par téléphone pour passer des fichiers - notamment des FPR (fichier des personnes recherchées) - pour ne pas encombrer les ondes et gagner du temps".
Des rappels de consignes
De nouveaux appels du même type ont été recensés ces derniers jours dans différents commissariats de France, en Île-de-France mais également en province. Selon nos informations, des rappels de consignes ont été publiées cette semaine par plusieurs directions de la police nationale, afin de rappeler aux fonctionnaires qu'il est interdit de communiquer le contenu de ce type de fichiers par téléphone. A ce stade, on ne sait pas si une ou plusieurs enquêtes ont été ouvertes concernant ces multiples faits.
Enquête ouverte à Paris
Certains des faits ont été commis dans des commissariats de la capitale confirme le parquet de Paris à Actu17 ce vendredi. Concernant ces derniers, une enquête préliminaire du chef d'usurpation de la qualité de policier, de collecte et de conservation de donnée à caractère personnel et de divulgation de ces données a été ouverte. Les investigations ont été confiées à la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) et à la brigade de lutte contre la cybercriminalité (BL2C).
Sollicité ce jeudi, le service d'information et de communication du ministère de l'Intérieur (SICOP) n'a pas donné suite.
Début juillet, un homme âgé de 21 ans a été interpellé puis placé en garde à vue. Lui aussi se faisait pour un policier auprès de vrais policiers, dans la rue, comme l'a révélé Actu17. Il est même parvenu à participer à plusieurs patrouilles. Déféré, son procès a été renvoyé au mois d'août prochain. En l'attente, il a été placé en détention provisoire.