Le lundi 11 avril 2022 à 13:39
Le soutien de personnalités comme Kim Kardashian et un mouvement qui s'étend au-delà des frontières des États-Unis : les appels à la clémence se multiplient en faveur de Melissa Lucio, condamnée à mort pour le meurtre de sa fille au terme d'un procès controversé, qui doit être exécutée au Texas le 27 avril. Depuis 15 ans, cette Américano-Mexicaine clame son innocence.
En 2007, sa fille Mariah, âgée de 2 ans, est retrouvée morte chez elle, couverte de bleus, quelques jours après avoir chuté dans des escaliers. La vie de Melissa Lucio, 12 enfants et enceinte de jumeaux, est marquée par des agressions tant physiques que sexuelles, une addiction à la drogue et des conditions précaires. Elle est immédiatement suspectée de l'avoir frappée. Elle est interrogée longuement, à peine quelques heures après le décès de sa fille. Après avoir dit "qu'elle ne l'avait pas fait près d'une centaine de fois", à 03h00 du matin elle formule des aveux "complètement extorqués", selon Sabrina Van Tassel, réalisatrice du documentaire à succès "L’État du Texas contre Melissa" (2020 aux États-Unis, 2021 en France) et soutien de l'Américaine.
"Je suppose que je l'ai fait", dit Melissa Lucio, interrogée sur la présence des hématomes, aux enquêteurs. Cette confession est "la seule chose qu'ils ont eue contre elle", assure Sabrina Van Tassel, convaincue qu'"il n'y a rien qui relie Melissa Lucio à la mort de cet enfant, il n'y ni ADN, ni témoin".
Lors du procès, un médecin urgentiste avait pourtant déclaré qu'il s'agissait du "pire" cas de maltraitance infantile qu'il ait vu au cours de sa carrière. Mais les handicaps de la fillette, susceptibles d'expliquer sa chute, n'avaient pas été pris en compte par les experts, selon sa défense, qui assure que les ecchymoses ont pu être causées par un trouble de la circulation sanguine. Aucun des enfants de Melissa ne l'avait accusée d'être violente. Quant au procureur, il sera plus tard condamné à une peine de prison pour corruption et extorsion.
"Erreur judiciaire"
Durant des années, le cas de Melissa, 53 ans aujourd'hui, n'intéresse pas grand monde. Le documentaire change les choses et, ces dernières semaines, un mouvement s'est fédéré autour d'elle. La star de téléréalité Kim Kardashian a tweeté mercredi à ses dizaines de millions d'abonnés qu'il y avait "tellement de questions non résolues autour de cette affaire".
So heartbreaking to read this letter from Melissa Lucio’s children begging for the state not to kill their mother. There are so many unresolved questions surrounding this case and the evidence that was used to convict her. pic.twitter.com/SjEtsfmZeq
— Kim Kardashian (@KimKardashian) April 7, 2022
Sa situation a ému jusqu'en Amérique latine, où nombre de médias relatent son histoire. Elle est la première femme d'origine hispanique à être condamnée à mort au Texas, l’État qui exécute le plus au XXIe siècle.
En France, Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux et ex-candidate à la présidentielle de 2022, s'est engagée pour Melissa Lucio, vraisemblablement "victime d'une erreur judiciaire". Un des jurés de son procès a d'ailleurs confié ses "profonds regrets" de l'avoir condamnée à mort, dans un éditorial publié début mars.
Melissa Lucio est même soutenue par des républicains, traditionnellement plus enclins à défendre la peine capitale. Environ 80 élus du Texas, des deux partis, ont demandé aux autorités d'annuler son exécution. Plusieurs sont allés lui rendre visite en prison. "Étant moi-même un républicain conservateur, soutien de longue date de la peine de mort pour les crimes les plus atroces, je n'ai jamais vu un cas plus troublant que celui de Melissa Lucio", a affirmé l'un d'eux, Jeff Leach. Le gouverneur républicain Greg Abbott, farouche défenseur de la peine capitale, peut encore repousser l'exécution, ou accorder sa clémence si la commission des grâces et des libérations conditionnelles de l’État le recommande.
"Un choc"
Cet afflux de soutien est "un choc" pour la détenue, déclare à l'AFP son fils John Lucio. Quand il lui a montré des messages tels que celui de Kim Kardashian, "elle ne pouvait pas le croire". Les 15 dernières années ont été "très difficiles", se remémore l'homme de 32 ans, adolescent au moment des faits, qui a dû "affronter le décès de (sa) sœur" tout en voyant sa mère "en être accusée". "Mais cette année a été la plus dure parce que nous avons eu la date d'exécution en janvier", explique John Lucio, qui assure avoir toujours cru en son innocence. Il est persuadé qu'elle n'aurait jamais été condamnée "si elle avait eu de l'argent".
L'affaire remet en lumière la question des faux aveux. Leur nombre est difficile à estimer mais, d'après les données de l'organisation "Innocence Project", qui lutte contre les erreurs judiciaires, sur quatre personnes condamnées à tort et innocentées grâce à une preuve ADN, une avait avoué les faits. En prenant uniquement les affaires d'homicides, la proportion atteint 60%, selon Saul Kassin, professeur de psychologie au John Jay College of Criminal Justice.
Et quelqu'un qui, comme Melissa Lucio, a vécu des traumatismes et des violences est "moins résistant, plus enclin à se soumettre, a une plus faible tolérance au stress d'un interrogatoire", et a donc plus de chance de s'accuser d'un crime qu'il n'a pas commis, dit-il.