Le samedi 7 mai 2022 à 12:50
Ils sont soupçonnés d'avoir gonflé artificiellement les chiffres de leurs saisies, en pactisant secrètement avec un trafiquant : six anciens responsables douaniers sont jugés à partir de lundi pour répondre d'un scandale révélé par la découverte d'un trafic de café contrefait.
L'affaire fait resurgir une problématique qui a plusieurs fois ébranlé les douanes ou la police antidrogue ces dernières années : la gestion de certains informateurs. Elle amène sur le banc des prévenus l'ex-patron de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), cinq de ses subordonnés, deux indics et un entrepreneur du Havre.
Tout commence avec une saisie record à l'été 2015, lorsque les "gabelous" découvrent 43 tonnes de café contrefait en région parisienne. "Une première sur le territoire national", s'enorgueillit alors Bercy, leur ministère de tutelle. Mais rapidement, la prise historique devient suspecte. Qui pourrait vraiment écouler en France des milliers de paquets de ce robusta de piètre qualité ? Selon l'enquête, l'opération a en réalité été intégralement montée par la puissante Direction des opérations douanières (DOD), le bras armé de la DNRED, à l'aide d'un "aviseur" - un informateur dans le jargon - "de haut niveau" : Zoran Petrovic.
Des tonnes de cigarettes de contrebande ?
En échange des "tuyaux" de cet ancien militaire serbe, qui organisait lui-même le transport et le stockage des marchandises, la hiérarchie douanière lui aurait permis d'importer ses propres conteneurs au port du Havre sans contrôle. Les 43 tonnes de café sont ainsi débarquées dans un chargement de 120 tonnes. Pour la juge d'instruction Aude Buresi, les 77 tonnes restantes, jamais retrouvées, contenaient probablement des cigarettes de contrebande au profit de ce trafiquant, proche de la mafia chinoise.
Les douaniers en cause "ont enfreint la loi dans l'unique but de réaliser des saisies avantageuses pour l'image médiatique de la DNRED mais sans aucun résultat concret sur le plan de la lutte contre la contrebande", tacle la magistrate dans son ordonnance de renvoi, en fustigeant leur "totale déloyauté à l'égard de l'autorité judiciaire".
Relations incestueuses
De lourds soupçons de corruption pèsent sur Pascal Schmidt, le chef de la DOD au Havre et agent traitant de Zoran Petrovic. Son bureau dissimulait près de 800 000 euros en espèces et deux montres de luxe, dont une offerte par le Serbe. Mais au-delà des relations incestueuses de ce duo, l'instruction a révélé un système trouble autour de ce "tonton" jugé dangereux et inscrit sur "liste noire" dès 2009, moins d'un an après son recrutement par l'ancien directeur de la DOD, Vincent Sauvalère.
Sa radiation ne l'a pas empêché de devenir une pièce maîtresse de l'administration : selon la juge d'instruction, Zoran Petrovic a été réimmatriculé sous plusieurs autres identités, avec l'accord de M. Sauvalère, numéro 2 du renseignement douanier, et de son adjointe Magalie Noël, afin de masquer la poursuite de sa collaboration.
Entre 2011 et 2015, les douanes ont ainsi organisé 32 saisies - contrefaçons, médicaments, café, cigarettes - grâce à ses "informations", pour lesquelles il a été rémunéré près de 400 000 euros sous divers alias. Des sommes indues pour un informateur infréquentable, qui valent à la plupart des prévenus d'être jugés pour détournement de fonds et escroquerie en bande organisée, en plus d'une éventuelle complicité dans l'importation du café contrefait. "Chacune des accusations qui pèsent contre Vincent Sauvalère, toutes pavées d'incohérences et de contradictions ahurissantes, seront fermement combattues tout au long de ce procès", a déclaré à l'AFP son avocat, Matthias Pujos.
Autre cadre épinglé, Erwan Guilmin, le successeur de M. Sauvalère à la tête de la DOD, est soupçonné d'avoir modifié une note classée "secret défense", pour dissimuler la présence de Zoran Petrovic sur liste noire. L'enquête va jusqu'à mettre en cause l'ex-grand patron du renseignement douanier, Jean-Paul Garcia, dont la juge pointe la "désinvolture" et la "négligence", malgré plusieurs alertes concernant le cas Petrovic. "En tant que directeur national, son rôle c'était le stratégique, pas l'opérationnel et donc pas les aviseurs", fait valoir son avocat, Patrick Tabet, tout en rappelant que le Serbe n'était "qu'un aviseur parmi les 1250 travaillant pour la DNRED". Le procès doit durer jusqu'au 9 juin.