Le vendredi 11 février 2022 à 13:50
Le dixième jour du procès de Nordahl Lelandais a donné lieu vendredi à une passe d'armes tendue entre l'avocat de l'accusé et l'ancien procureur chargé de l'enquête à l'époque de la disparition de la petite Maëlys. Jean-Yves Coquillat est procureur de la République à Grenoble lorsque Maëlys De Araujo, huit ans, disparaît lors d'un mariage à Pont-de-Beauvoisin (Isère) en août 2017. Il sera amené très rapidement à soupçonner Nordahl Lelandais qui, à l'époque, nie catégoriquement.
L'ancien procureur, aujourd'hui retraité et d'une "parole entièrement libre", a vivement critiqué le "système de défense" de l'ancien militaire. Selon lui, "la stratégie est claire, nier l'enlèvement pour éviter une qualification de meurtre précédé d'enlèvement" et ensuite "nier le meurtre et, quand les preuves sont là, dire que le meurtre était involontaire". "Ce sont d'excellents joueurs de poker, ils attendent de voir le jeu de l'autre, ils bluffent", a-t-il poursuivi, estimant que l'accusé est quelqu'un "d'extrêmement dangereux". La défense s'efforce également depuis le début du procès "d'essayer de discréditer l'enquête et les témoins", a-t-il affirmé.
Cet exposé a été brutalement interrompu par l'avocat de la défense Alain Jakubowicz qui a déclaré n'avoir "jamais vu une attaque aussi directe" contre la défense et exigé une interruption de séance et la présence du bâtonnier. "Clairement, M. Coquillat est venu pour régler ses comptes. Vous ne pouvez pas tolérer cette situation, Madame la présidente. C'est un procès contre le principe même de la défense. C'est un réquisitoire avant l'heure !", a-t-il tonné. La présidente Valérie Blain a répliqué que le témoin était "acquis au débat" et ordonné la poursuite de l'audience. M. Coquillat a fait valoir qu'il avait été appelé à témoigner à la demande de la famille de la fillette et s'en "serait bien passé". Pendant cet échange, l'accusé est resté assis calmement dans son box.
"Ni queue ni tête"
Pour l'ancien magistrat, l'affaire Maëlys "présente des traits extrêmement caractéristiques et marquants" du fait de sa "médiatisation extrême" mais aussi parce qu'elle implique l'enlèvement d'une enfant et enfin du fait de la "personnalité" de l'accusé. Dans ce type d'affaires, "tant qu'on n'a pas retrouvé le corps, on avance sur des œufs car on a l'espoir de retrouver l'enfant vivant", rappelle-t-il. C'est avec cet espoir en tête qu'il décide de lever la première garde à vue de Nordahl Lelandais. "Si la défense a une stratégie, le parquet en a une aussi", lance-t-il.
L'ancien magistrat est ensuite revenu sur le 14 février 2018, date à laquelle les restes de la fillette ont été retrouvés dans une forêt sur les indications de l'accusé. "Pour nous, c'était une avancée de plus dans l'enquête et, pour les parents, une station de plus sur le chemin de croix" après six mois de "torture" pour la famille, dit l'ex-procureur.
Quant à l'accusé, c'est "un menteur, un hâbleur, un dissimulateur, un séducteur, quelqu'un de très organisé et très adaptable", a-t-il encore estimé à la barre. Son intime conviction ? "Ce que je pense c'est que Nordahl Lelandais a enlevé Maëlys pour la violer et la tuer, on n'enlève pas une enfant pour aller voir des chiens, ça n'a ni queue ni tête", a-t-il dit, expliquant que la qualification de viol n'a pas été retenue faute de "preuve matérielle".
M. Coquillat a "mis ses tripes" dans ce dossier et "n'a jamais été dupe de la stratégie de Nordahl Lelandais", a estimé Me Fabien Rajon, avocat de la mère de Maëlys après l'audience. Selon lui, l'ex-magistrat a "bien cerné la personnalité, la dangerosité" de l'accusé, et "ça a été bien compris ce matin".