Policier ou gendarme auditionné : «Cette situation doit être prise au sérieux et ne pas être mésestimée»

TRIBUNE - Me Élodie Maumont est avocate au Barreau de Paris spécialisée en droit pénal militaire. Me Maxime Thiébaut est avocat au Barreau de Paris, docteur en droit et réserviste opérationnel de la Gendarmerie nationale.
Policier ou gendarme auditionné : «Cette situation doit être prise au sérieux et ne pas être mésestimée»
Me Elodie Maumont et Me Maxime Thiébaut.
Par Élodie Maumont et Maxime Thiébaut
Le jeudi 31 mars 2022 à 14:43

Il n’est pas rare que des gendarmes ou des policiers soient auditionnés dans le cadre d’une enquête judiciaire ; surtout à la suite d’un emploi de la force. Cette situation, qui peut sembler ubuesque pour l’agent convaincu que son intervention s’inscrit dans le strict respect de la loi, ne doit toutefois pas être mésestimée. Elle doit être prise au sérieux, puisqu’elle peut être lourde de conséquences, tant immédiatement qu’à la suite d’une éventuelle procédure pouvant être menée. Des bons réflexes doivent alors être adoptés que l’avocat s’évertuera de préciser succinctement dans le présent article.

Tout d’abord, l’agent de police ou le militaire de la gendarmerie doit avoir à l’esprit qu’il n’est plus le collègue ou le camarade de l’enquêteur en face de lui. Il devient, comme tout citoyen, un justiciable qui doit rendre compte à la société pour que la vérité judiciaire puisse se manifester. Il faut dès lors avoir à l’esprit que le grade disparaît. Le brigadier auditionné par le lieutenant ne doit pas être impressionné par celui, qui en temps normal, serait son supérieur hiérarchique. La relation gradé / subalterne devient une relation officier de police judiciaire (OPJ) / justiciable, et doit le demeurer.

Ainsi, face à l’enquêteur qui intervient en qualité d’officier de police judiciaire, le policier devenu justiciable bénéficie de tous les droits de la défense, et notamment ceux de ne pas s’auto-incriminer ou de garder le silence. Il est en tout état de cause présumé innocent jusqu’à l’intervention d’une décision de justice devenue définitive.

Le jeu de rôle étant intégré, la naïveté n’a pas sa place : le tutoiement de l’enquêteur ou le petit café gentiment proposé ne doivent pas entraver l’attention et la vigilance de tous les instants. On ne peut en ce sens que conseiller au lecteur de revoir le film "Garde à vue" avec Lino Ventura pour cerner la psychologie d’une audition, que celle-ci soit sous la forme d’une audition libre ou d’une garde à vue.

Toutes les déclarations doivent être réfléchies et pesées. Il n’existe aucun « off » ou « temps mort » ; surtout lorsque l’audition a lieu au cours d’une garde à vue. Le justiciable doit faire attention aux contradictions qui peuvent aussi être dues à la fatigue ou au stress.
Les questions doivent être écoutées, et on explique souvent qu’une réponse n’est toujours que la conséquence d’une question de l’enquêteur. Ainsi, si la question n’est pas comprise ou précise, il est impératif de demander à l’enquêteur de la reformuler pour en comprendre le sens. De même, il est nécessaire de faire rectifier les questions rhétoriques car une question d’un enquêteur n’a pas vocation à affirmer un fait : elle doit seulement avoir pour objectif de manifester la vérité.

C’est pourquoi chaque phrase doit être courte : sujet, verbe et complément. La prise de parole doit être réfléchie. Parler vite peut souvent se traduire par parler trop. Il est donc impératif que le débit de la parole soit adapté à la prise de note de l’enquêteur, afin que le procès-verbal soit fidèle et exhaustif. Le PV doit être la retranscription des déclarations de la personne auditionnée et non de l’enquêteur.

Si l’enquêteur ne note pas ce qui est dit ou peine à le retranscrire, il faut penser à se répéter ou à s’adapter, pour que la restitution écrite soit conforme. Il revient aussi de la mission de votre avocat, qui en principe ne pourra s’exprimer lors de l’audition, de vous temporiser ou de recadrer l’audition si cette dernière ne permet pas une retranscription fidèle de vos déclarations. Il est à noter que votre avocat pourra vous poser des questions à la fin de l’audition pour préciser certains points essentiels.

Enfin, l’audition n’est terminée que lorsque le procès-verbal est relu et corrigé. En pratique votre conseil aura pris en note vos déclarations qu’il pourra comparer avec l’écrit du procès-verbal. Si apparaissent des imprécisions ou contradictions, il pourra soit les faire corriger, soit demander qu’elles soient mentionnées en observations.

En conclusion, une audition n’est pas un moment convivial entre collègues ou une formalité. C’est un acte d’enquête à prendre au sérieux et pour lequel une préparation s’impose. Des questions semblables, mais formulées différemment, seront maintes fois répétées pour déceler chez le justiciable les contradictions : la vigilance et l’attention sont donc les deux anges gardiens de la personne auditionnée.

En toutes circonstances, il s’agit de garder à l’esprit que l’audition est un acte de procédure intégré à un dossier sur la base duquel des poursuites sont susceptibles d’être engagées et de donner lieu à un procès des mois ou des années plus tard.