Le lundi 31 janvier 2022 à 01:06 - MAJ samedi 9 avril 2022 à 11:23
"Le pire moment de ma vie" : en août dernier, Tiffani Evans a vu son fils de 8 ans mourir, touché en pleine tête par une balle perdue tirée depuis la rue, alors qu'il jouait à des jeux vidéo. En cette fin d'été dans l’État du Maryland, l'Américaine de 34 ans était venue rendre visite à des proches. Elle était dehors quand des salves ont éclaté.
"Dès que les tirs ont cessé, nous avons tous couru vers la maison et mon fils était assis sur la table, tête baissée, avec une balle dans la tête", témoigne-t-elle auprès de l'AFP. "J'ai su tout de suite qu'il était parti". Peyton était passionné de football américain, "un petit génie des maths" mais aussi "le roi de TikTok", se remémore Tiffani Evans. Il n'était pas la cible des tirs, mais s'est retrouvé "au mauvais endroit, au mauvais moment", se désole-t-elle. "Il faut que ça s'arrête", espère cette fonctionnaire fédérale, appelant à des mesures contre la prolifération des armes illégales. "Aucun enfant de 8 ans ne devrait perdre la vie à cause du comportement inconscient de quelqu'un d'autre."
Un simple coup d’œil à la presse locale américaine suffit pourtant pour comprendre qu'un tel drame est loin d'être isolé dans un pays où pullulent les armes à feu. Et, dans l'accumulation de photos de victimes, les traits sont souvent enfantins.
Rien que ces dernières semaines, une enfant de 8 ans a été tuée dans une rue de Chicago, tout comme un adolescent de 18 ans, touché alors qu'il apportait des courses à sa grand-mère, dans le New Jersey, et une fillette de 11 mois a été grièvement blessée alors qu'elle se trouvait dans une voiture à New York. A Atlanta, dans le sud du pays, un bébé de six mois a été tué le 24 janvier. Là aussi, une vie fauchée par pure fatalité : l'enfant s'est juste retrouvé au centre d'une fusillade.
Armes plus puissantes
Mais ces faits divers, moins frappants que les fusillades à nombreuses victimes dont l'Amérique est coutumière, sont vite oubliés par le public. Leur nombre n'est d'ailleurs pas recensé officiellement et les recherches sur le sujet sont rares. Chris Herrmann, expert du John Jay College of Criminal Justice, estime néanmoins que les balles perdues constituent 1 à 2% du total des décès par arme à feu. La fréquence de ces drames explique, selon lui, une certaine passivité de l'opinion publique, devenue blasée. "Si cela arrivait dans un pays étranger, cela ferait la une."
S'il y a tant de victimes, c'est que les balles vont plus loin qu'on ne l'imagine. Un projectile de pistolet peut être encore létal après avoir parcouru 500 mètres, ou jusqu'à 1 kilomètre pour un fusil, souligne Peter Squires, professeur de criminologie à l'université de Brighton. Même les murs ne suffisent pas à protéger de ce danger.
Le 25 novembre dernier, alors qu'il était attablé pour le dîner de Thanksgiving, un jeune homme de 25 ans est mort après avoir reçu une balle perdue en Pennsylvanie, tirée par un homme qui se trouvait dans la rue. Mi-janvier à Atlanta, un chercheur britannique venu rendre visite à sa petite amie est mort dans son lit, touché par une balle qui a transpercé le mur. "Des cloisons et murs en bois, des portières de voiture n'arrêteront pas vraiment une balle", contrairement à la pierre, explique Peter Squires. Les bâtiments d'aujourd'hui sont souvent "moins robustes" que par le passé, étant construits avec "des matériaux peu onéreux", poursuit-il.
Par opposition, les armes, sont elles "bien plus puissantes qu'elles ne l'étaient il y a 30 ans", déclare Peter Squires. Une course à la puissance alimentée par le besoin de séduire des consommateurs qui possèdent déjà plusieurs armes à feu.
"Pas comme dans les films"
Autre élément explicatif, "la hausse du nombre de propriétaires d'armes à feu", avance le professeur. Des pistolets se retrouvent entre les mains de novices, pas toujours formés aux règles de sécurité. "Un grand nombre de personnes inexpérimentées qui manipulent des armes, cela promet toujours un désastre". Parvenir à bien viser est "difficile" et requiert de l'entraînement, abonde Joan Burbick, auteure du livre "Gun Show Nation", sur la culture des armes. "Ce n'est pas comme dans les films".
Une pratique est aussi mise en cause: les tirs de joie, qui consistent à tirer en l'air pour célébrer un événement. Le problème, c'est que "les balles retombent, et touchent les gens souvent à 1 mile (environ 1,6 km) de l'endroit où elles ont été tirées", assure Peter Squires. Le soir du nouvel an, dans le Mississippi, une balle était venue se loger dans la salle de bains d'une personne âgée "et avait failli la toucher alors qu'elle sortait de la baignoire", avait assuré l'élu local Brian Grizzell sur Facebook. "Personne ne mérite d'être assis dans sa propre maison en ayant peur qu'une balle vienne le frapper (ou le tuer)", avait-il dénoncé.