Le lundi 26 juin 2023 à 21:35 - MAJ mardi 27 juin 2023 à 00:18
C’est une situation ubuesque qui inquiète et interroge sur la prise en charge des aliénés à Paris. Selon les informations d'Actu17, des dizaines de personnes, qui sont orientées, sur avis médical, vers l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (IPPP ou I3P) de Paris attendent leur admission - faute de place dans ce service - dans des commissariats parisiens. Et cela peut durer des dizaines d'heures. Une situation particulièrement inquiétante et en-dehors de tout cadre légal…
"En clair, quand on récupère une personne qui ne semble pas jouir de toutes ses facultés, elle est vue par un médecin qui détermine si elle doit être prise en charge en psychiatrie", confie un policier de terrain. "En cas de réponse positive, on la conduit à l’I3P où un nouvel avis médical est prononcé pour une sortie rapide ou une hospitalisation dans un établissement spécialisé".
Mais depuis quelques semaines, les admissions à l’I3P, un service appartenant à la direction des transports et de la protection du public (DTPP) située dans le 14ème arrondissement, se font au compte-gouttes. La cause ? "Pour des raisons de sécurité, l'IPPP n'accueille plus plusieurs patients par chambre", précise-t-on à la préfecture de Police. "Il y a dix chambres dans cette structure, donc dix places".
Résultat : lorsque les dix places sont déjà occupées, les commissariats sont priés de patienter. "La règle, c’est un entrant pour un sortant", déplore le même policier de terrain. "On prend notre ticket et on attend notre tour. Ça va quand on est deuxième ou troisième sur la liste d’attente. Sinon, ça peut durer longtemps…". Très longtemps même.
«Deux sont même restés 48 heures dans les locaux»
Plusieurs témoignages recueillis par Actu17 attestent des conditions indignes et du caractère illégal de la retenue des personnes qui attendent leur admission à l’I3P dans les locaux de commissariats parisiens. "On les garde dans les commissariats pendant des heures, attachées sur des bancs ou placées en cellule de dégrisement pour éviter qu’elles ne soient en contact avec des gardés à vue", indique un haut fonctionnaire. "On nous explique que l’I3P a revu ses conditions de prise en charge pour plus de dignité mais, au final, on aboutit à l’inverse !".
"Sur le commissariat du 12ème, t'as un mec qui est resté 24 heures, et dans le 16ème, deux sont même restés 48 heures dans les locaux, en attendant d’être transférés à l’I3P", souffle un observateur. "C’est incroyable. Et le problème, c’est que la personne qui est admissible à l’I3P n'a aucun droit, comme elle n'a pas de statut. Donc, on ne peut même pas prévenir sa famille. Enfin, on nous déconseille de le faire pour ne pas avoir d’emmerdes supplémentaires…".
«Nous sommes policiers, pas infirmiers»
S’ajoute aussi à l’illégalité d’une telle retenue, le malaise des policiers en charge d’encadrer ces personnes en souffrance. "Aucun commissariat n'est adapté pour ce genre de personne", souligne un policier en poste dans la capitale. "Personne n'est formé pour intervenir sur une personne en décompensation mentale dans un poste de police. Ces gens ont parfois besoin d’un traitement en urgence. Nous ne pouvons pas les aider. Et quand ils restent 24h ou 30h attachés au banc d'un commissariat, c'est eux que nous mettons en danger. Les effectifs du poste concernés se retrouvent également dans le désarroi. Nous sommes policiers, pas infirmiers. L’idée de devoir menotter une personne malade comme un criminel, c’est dérangeant. Et j’ai l’impression que les commissaires sont aussi perdus que nous face à cette situation".
"L'IPPP fonctionne comme un sas, qui permet de prendre en compte des personnes dont l'état de santé mentale est incompatible avec une garde à vue", rappelle encore la préfecture de Police. "Après passage aux urgences médico-judiciaires, les patients sont conduits à l'IPPP pour une durée maximale théorique de 48h. Des problèmes de saturation peuvent effectivement survenir, qui sont liés à la tension des hôpitaux psychiatriques en aval. Le préfet de Police travaille avec l'Agence Régionale de Santé (ARS) pour améliorer cette situation provisoire".
"On pallie au manque d’anticipation", pointe un autre fonctionnaire. "Jusqu’au jour où il y aura un incident grave".
Sollicitée sur le pourquoi de cette soudaine réduction de place au sein de l’IPPP, et l’absence de solution alternative, la préfecture de police n’a pas donné suite. Selon une autre source bien informée, le changement est intervenu à la suite d'une visite du défenseur des droits. "A partir de là, il a été ordonné qu'il n'y ait qu'un seul patient par chambre, et aucune solution n'a été trouvée depuis".
Les policiers «ne sont pas formés à cela»
"Ce sujet, pour Alliance Paris, est une problématique majeure", souligne Renaud Mazoyer, secrétaire zonal adjoint du syndicat Alliance à Paris. "Aujourd'hui la capacité d'accueil de ces individus est d'une dizaine de places sur Paris. Ces personnes demandent une prise en charge spécialisée et nos collègues ne sont pas formés à cela. C'est du ressort médical. Il y a là, un sujet d'une importance capitale, sur lequel il faut vite s’attarder, à un an des Jeux Olympiques, où on demande déjà beaucoup à nos collègues".