Le jeudi 12 mai 2022 à 23:19
Pas de "guerre des polices", ni de guerre entre police et justice. Toutes les parties prenantes au démantèlement la semaine dernière d'un vaste trafic international de cocaïne ont vanté en chœur une "coopération" réussie. Dix-sept personnes ont été interpellées dans le cadre de cette affaire portant sur l'importation en France de 22 tonnes de sucre mélangé à de la cocaïne provenant de Colombie. Neuf l'ont été en France, en région parisienne et dans le Sud, sept en Espagne et une à Dubaï.
Lundi et mercredi, six personnes arrêtées en France ont été mises en examen et placées en détention provisoire, trois autres ont été remises en liberté sans poursuite, a-t-on appris jeudi de source judiciaire. Les sept interpellés en Espagne sur mandat d'arrêt européen sont des ressortissants colombiens, soupçonnés d'être des chimistes capables de séparer la cocaïne du sucre. La personne interpellée à Dubaï l'a été sur mandat d'arrêt international. Elle est soupçonnée d'être l'organisatrice du trafic.
La procureure de Paris Laure Beccuau a insisté auprès de l'AFP sur "le caractère inédit de la coopération internationale qui s'est déployée dans ce dossier avec la Colombie, Dubaï, l'Espagne et les autorités américaines". "C'est un déploiement quasi-inespéré, une première. Ça s’est traduit par des demandes d'entraide européennes et internationales par dizaines", a-t-elle ajouté en qualifiant le réseau de trafiquants de "très haut niveau".
Banale affaire d'escroquerie
Au niveau national, Mme Beccuau a salué "une vraie coordination entre les différentes juridictions" à Nice, avec la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée) et au niveau national avec la JUNALCO (Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée) créée en 2020. Du côté des enquêteurs, Stéphanie Cherbonnier, la directrice de l'OFAST (l'office spécialisé dans la lutte contre le trafic de drogue créé en 2020) s'est réjouie d'une "coordination réussie" en "harmonie".
"On a super bien bossé", "il n'y a pas eu de guerre des polices", a renchéri Christophe Perruaux, le directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF) créé en 2019 au ministère des Finances. L'affaire a débuté par une banale affaire d'escroquerie au chômage partiel d'un montant de 100 000 euros durant la pandémie dans le Val-de-Marne.
Les services des finances publiques du département repèrent une société fantôme qui prétend avoir 142 salariés, avec un gérant basé à Nice. Le dossier est alors transmis au SEJF. Il s'avère que le gérant est fictif (il s'agit d'une identité usurpée) et sa société reliée à d'autres entreprises. "Une vraie toile d'araignée. On repère des mouvements financiers et d'importations de marchandises qu'on ne comprend pas. Tantôt ce sont des poissons, tantôt du tabac, tantôt du sucre", raconte à l'AFP M. Perruaux.
Labos et chimistes
Les suspicions de trafic de drogue et de blanchiment ne tardent pas. La JUNALCO s'empare du dossier, l'OFAST et le SEJF sont cosaisis de l'enquête. Un renseignement des Américains sur une cargaison de 22 tonnes de sucre mélangé à de la cocaïne devant quitter le port de Carthagène (Colombie) en direction de la France parvient aux Français. La cargaison sera suivie de bout en bout de Colombie au Havre jusqu'à Thiais (Val-de-Marne), sa destination finale, en passant par un port rebond de République dominicaine.
Selon Le Monde, "un huitième de la cargaison totale a été contaminé, dans des proportions variant de 3% à 15%". "Le phénomène des laboratoires existe depuis quelques années en Europe mais surtout en Espagne. C'est tout nouveau en France", explique à l'AFP Mme Cherbonnier. Mais un laboratoire requiert des chimistes capables de séparer la cocaïne de marchandises contaminées, comme le charbon, des liquides ou du sucre. C'est pourquoi des chimistes colombiens ou mexicains ont commencé à arriver en Europe.
Sur la période 2018-2021, 25 laboratoires ont été découverts en Europe dont 11 en Espagne, ajoute Mme Cherbonnier. "Face à des organisations criminelles inventives qui savent mettre à mal les contrôles, il faut parler à ses partenaires, le partage du renseignement est important", insiste la patronne de l'OFAST, "le croisement des informations est payant comme l'a montré ce dossier".