Fraude au chômage partiel : le comptable de Pantin rapatriait les millions d’euros en Israël

INFO ACTU17. Un père de famille âgé de 30 ans originaire de la Seine-Saint-Denis est accusé d'avoir pris part à un réseau criminel ayant escroqué l'État, dans une vaste fraude aux aides du chômage partiel. Plus de 7000 fausses entreprises ou sociétés dont l'identité a été usurpée, ont été identifiées par les enquêteurs. Des dizaines de millions d'euros ont été détournés, mais une importante partie du montant a pu être récupérée.
Fraude au chômage partiel : le comptable de Pantin rapatriait les millions d’euros en Israël
Illustration. (shutterstock)
Par Actu17
Le mercredi 29 septembre 2021 à 18:23 - MAJ jeudi 30 septembre 2021 à 19:18

Cheveux bruns et perfecto noir, Dan tente de se faire passer pour une victime. « Je me suis fourvoyé. Je suis tombé dans une machine infernale et jamais je n’ai réalisé l’ampleur de cette chose » avance-t-il devant le juge de la détention qui l’a maintenu, mardi 28 septembre à Paris, derrière les barreaux. A 30 ans, ce père de trois enfants est soupçonné d’avoir aidé à la mise en œuvre d’une tentaculaire escroquerie au chômage partiel sur fond de crise sanitaire, qui a permis à une équipe d’escrocs israéliens d’empocher au moins 11 millions d’euros. « Lorsque j’ai été arrêté et incarcéré, le choc a été terrible. Je suis tombé de mille étages, ajoute-t-il. J’ai déjà passé 2520 heures en prison et il n’y en pas une seule où je n’ai pas regretté ce que j’ai fait ».

Ce comptable de formation a été interpellé en juin dernier à une heure et demie de la frontière avec la Suisse. Alerté par les saisies pénales sur son compte bancaire, il a réveillé ses enfants en pleine nuit et les a embarqués dans sa voiture avec la ferme intention de rejoindre Genève et sauter dans l’avion pour se réfugier en Israël dont il est ressortissant. Il a par ailleurs effacé toutes les données de son téléphone portable pour brouiller les pistes. Cet homme, domicilié à Pantin (Seine-Saint-Denis), avait également demandé à son père de cacher le butin dans le box de son appartement parisien. Les gendarmes de l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) y ont découvert 1,7 millions d’euros en cash, de nombreuses montres de luxe, de l’or et des bijoux.

"Au total, 56 millions d’euros ont été libérés"

C’est en mars 2020 que les militaires ouvrent cette enquête avec leurs collègues de la section de recherche de Toulouse (Haute-Garonne), sous la direction de la « Jirs Junalco », juridiction spécialisée dans la lutte contre la criminalité organisée financière. Ils se rendent compte que les mêmes adresses mail et les mêmes contacts sont utilisés dans les flux de blanchiment de cette vaste escroquerie. L’hypothèse qu’une même équipe est à l’œuvre se précise.

« Cette organisation criminelle a utilisé 7055 fausses entreprises ou usurpé l’identité de vraies sociétés pour indemniser des salariés fantômes à hauteur de 90 millions d’euros, précise un magistrat. Au total, 56 millions d’euros ont été libérés ». En fait, le préjudice pour l’État ne se monte qu’à 11 millions d’euros car les fonds ont pu être récupérés par les banques avant qu’ils ne disparaissent.

Dan est soupçonné d’avoir participé à la moitié de ces faits soit un total de 3640 demandes réalisées par ces coquilles vides. « Mais il n’est pas le donneur d’ordre, ajoute notre magistrat.Il est un rouage essentiel. Mais c’est un exécutant ». Les donneurs d’ordre en Israël téléphonent pour réaliser les demandes d’indemnisation des salariés fantômes. Dan se cache derrière une application téléphonique qui lui permet sur son smartphone d’utiliser des numéros temporaires pour brouiller les pistes. Il réceptionne les fonds versés par l’État sur les comptes ouverts pour ces sociétés taxis qui n’ont pas de réelles activités.

Des voyages en Grèce, à Tel-Aviv et à Dubaï

Dans un second temps, le comptable de Pantin récupère l’argent via une société anglaise appelé « Kraken » qui vire l’argent sur des comptes rebonds en Lituanie. Les enquêteurs ont découvert qu’au bout de la chaîne, Dan avait converti le butin en cryptomonnaie pour le remettre entre les mains des commanditaires. Il a lui-même empoché sa rémunération en argent virtuel. Pendant cette période, il a décuplé ses revenus. Son entourage assure même qu’il en a perdu la tête. Sans aucune ressource légale déclarée, durant un an, il a beaucoup voyagé : en Grèce, à Tel-Aviv et à Dubaï notamment.

Durant les auditions menées par les militaires, l’escroc francilien a reconnu sa participation. Il a été mis en examen en compagnie de son épouse et son père qui a été écroué dans ce dossier. « Il n’est pas l’animateur, martèle son avocat Me Philippe Ohayon. Il déplore que ces équipes d’escrocs israéliens débauchent des informaticiens et des comptables français qui deviennent des délinquants en tombant sous leur charme ». « Il faut sauvegarder notre jeunesse et extrader ces personnes », lance-t-il avant d’avancer que Dan n’a aucune raison de fuir. Par ailleurs, l’avocat s’interroge sur l’origine de l’argent liquide trouvé lors des perquisitions. Le conseil estime que son client « n’a pas pu recevoir, 1,7 millions d’euros, c’est-à-dire 20% du montant de l’escroquerie. C’est improbable et discutable ».

La suite de l’enquête consiste à identifier le ou les donneurs d’ordre. « Il faut arrêter ces personnes qui ont privé l’État de plusieurs dizaines de millions d’euros qui pourrait servir à bien d’autres choses dans ce pays », ajoute une source proche du dossier. Une procédure d’entraide internationale a été initiée par la justice Française. Me Ohayon est confiant et rappelle qu’Israël extrade ses ressortissants lorsque la procédure est menée dans les règles. Mais il estime que cela ne pourra pas se faire avant trois ans et espère que Dan pourra être jugé avant.