Le mercredi 30 novembre 2022 à 09:59 - MAJ mercredi 30 novembre 2022 à 10:40
Son ombre frêle se traîne à la lueur orangée des lampadaires parisiens. Malika, fumeuse de crack sans âge, rejoint son dealer assis sur un banc du canal Saint-Martin, capuche relevée. Elle lui tend un billet de 20 euros et récupère deux "cailloux", sa dose pour la soirée.
A quelques mètres, des policiers en civil, membres d'une unité spécialisée de la brigade des réseaux franciliens (BRF), n'en ratent pas une miette. C'est l'un de leurs collègues qui, installé au siège de la préfecture de police de Paris pour scruter les images des caméras de vidéosurveillance, les a guidés vers la scène. Ils patientent quelques minutes, le temps que le vendeur s'éloigne, pour fondre sur Malika avant qu'elle ne batte son briquet et inhale sa première bouffée.
"Pourquoi vous me laissez pas fumer? J'ai trop besoin, c'est la drogue qui est dans ma tête !", supplie-t-elle, au bord des larmes. Pierre essaye de la calmer : "ce n'est pas pour vous qu'on est là". Le policier a besoin de saisir le produit pour matérialiser l'infraction avant d'interpeller le "modou", soit "vendeur ambulant" en wolof, la langue parlée au Sénégal d'où sont originaires les trafiquants en grande majorité
Celui-ci s'est engouffré dans les dédales de la Grange-aux-Belles (Xe), une cité proche, mais Olivier et Camille (prénom modifié) l'ont pris en filature et lui passent les menottes. Il déclare s'appeler Ahmad, être âgé de 41 ans, arrivé à Paris en 2016 de la banlieue de Dakar. Il affirme "vivre dehors" et n'avoir jamais eu affaire à la police. Sur lui, 229 euros, essentiellement en pièces de monnaie, mais pas de crack. "Soit il a eu le temps d'avaler ses cailloux ou alors il les a cachés quelque part", soupçonne le lieutenant Lounès, adjoint au chef de l'unité. Les policiers le conduisent en garde à vue dans les locaux du groupe "crack" de la Sûreté régionale des transports (SRT).
«Ils sont beaucoup plus mobiles et travaillent plus par téléphone»
"On a interpellé 246 trafiquants de crack depuis le 1er janvier", a indiqué mardi le préfet de police Laurent Nuñez sur France Bleu Paris. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin lui a demandé, lors de sa prise de poste en juillet, d'éradiquer "d'ici un an" le crack de la capitale, un objectif que beaucoup jugent impossible à atteindre.
Depuis l'évacuation début octobre du square Forceval, porte de la Villette, transformé en scène de consommation de crack à ciel ouvert, "les toxicomanes sont revenus sur les sites historiques de la Gare du Nord, porte de la Chapelle et Stalingrad", au grand dam des riverains, souligne le lieutenant Lounès.
Lundi, à la nuit tombée, les policiers de l'unité les repèrent de loin, avec leur démarche erratique, tournant dans le quartier "comme des poissons rouges dans un bocal", image l'officier. Les vendeurs, eux, se font plus discrets. "C'était plus facile avant (l'évacuation). Ils pouvaient rester six heures au même endroit, il suffisait de rester à côté et d'attendre. Maintenant, ils sont beaucoup plus mobiles et travaillent plus par téléphone", explique Stéphane, l'un des plus anciens du service.
Pour réduire les risques d'arrestation, certains donnent rendez-vous par message à plusieurs consommateurs pour une "vente flash" à un endroit précis du métro. "C'est le jeu du chat et de la souris", résume Lounès, "jamais déprimé" malgré l'impression, parfois, de "vider l'océan à la petite cuillère". "Notre devoir est accompli quand on présente un vendeur à la justice", dit-il.
Ahmad, à l'issue de sa garde a vue, devrait être jugé en comparution immédiate avec, sans doute, une peine de prison ferme à la clef. "Aujourd'hui, le mandat de dépôt (incarcération, ndlr) est systématique", se félicite Stéphane. Malika, elle, sera aussi entendue pour les besoins de l'enquête mais, comme la plupart des consommateurs de crack, devrait recevoir une simple injonction de soins.