Le vendredi 17 juin 2022 à 22:54
"Terroriste high tech" ou héros traqué de la liberté d'informer, le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, dont le gouvernement britannique a confirmé vendredi l'extradition vers les États-Unis, a vu son image se troubler avec le temps.
Après une fuite massive de documents, les États-Unis veulent juger pour espionnage l'Australien de bientôt 51 ans, qui risque jusqu'à 175 ans de prison dans cette affaire dénoncée par des organisations de droits humains comme une grave attaque contre la liberté de la presse.
Avec l'ordonnance signée vendredi par la ministre britannique de l'Intérieur Priti Patel, au terme d'une très longue saga judiciaire, il voit disparaître l'un de ses derniers espoirs d'échapper à son extradition mais a fait savoir qu'il ferait appel.
Mariage en prison
Les États-Unis reprochent à Julian Assange d'avoir diffusé, à partir de 2010 sur sa plateforme WikiLeaks plus de 700 000 documents concernant les activités militaires et diplomatiques de Washington, notamment en Irak et Afghanistan.
Il est détenu à la prison de haute sécurité de Belmarsh, dans l'est de Londres, depuis avril 2019, après avoir été extrait de l'ambassade d’Équateur, où il s'était réfugié sept ans plus tôt, déguisé en coursier. A l'époque il était sous le coup de poursuites pour viol en Suède, depuis abandonnées.
Pendant ses années dans ces locaux diplomatiques, Assange a eu deux enfants avec Stella Moris, l'une de ses avocates qu'il a épousée derrière les barreaux en mars dernier. Son image de "cyber-warrior" aux cheveux blancs s'est brouillée au fil des ans, en particulier avec la diffusion par sa plateforme, en 2016, pendant la campagne présidentielle américaine, de milliers de courriels piratés provenant du Parti démocrate et de l'équipe d'Hillary Clinton.
Ces révélations avaient alors suscité des éloges appuyés du candidat Donald Trump. Selon la CIA, ces documents ont été obtenus auprès d'agents russes, ce que nie WikiLeaks.
Cet épisode a alimenté les soupçons, par ses détracteurs, de collusion avec la Russie d'un Julian Assange dont les révélations se font souvent au détriment des États-Unis, et qui a collaboré avec la chaîne de télévision RT, proche du Kremlin.
«Libérer la presse»
L'Australien a commencé sa vie ballotté de droite à gauche par sa mère, Christine Ann Assange, une artiste de théâtre séparée de son père avant sa naissance.
Il compare son enfance à celle de Tom Sawyer, entre construction de radeau et explorations de son environnement. A 15 ans, il a déjà vécu dans plus de 30 villes australiennes avant de se poser à Melbourne où il étudie les mathématiques, la physique et l'informatique. Happé par la communauté des hackers, il commence à pirater les sites internet de la Nasa ou du Pentagone en utilisant le pseudonyme de "Mendax".
Lorsqu'il lance WikiLeaks pour "libérer la presse" et "démasquer les secrets et abus d’État", il devient, selon un de ses biographes, "l'homme le plus dangereux du monde". Il devient connu du grand public en 2010 avec la publication des centaines de milliers de documents américains. Il est alors présenté comme un champion de la liberté d'informer.
Dix ans avant son élection à la présidence des États-Unis, Joe Biden, alors vice-président de Barack Obama, estimait que Julian Assange s'apparentait davantage à un "terroriste high tech" qu'à un héritier des "Pentagon papers" ayant révélé dans les années 1970 les mensonges des États-Unis sur la guerre du Vietnam. "Selon le vice-président nord-américain, la vérité sur les États-Unis, c'est du terrorisme", avait rétorqué Assange. Sa notoriété grandit, les critiques s'accumulent.
En 2011, les cinq journaux (dont The New York Times, The Guardian et Le Monde) associés à WikiLeaks condamnent la méthode de l'organisation, qui rend publics des télégrammes du département d’État américain non expurgés. Ils estiment que les documents sont susceptibles de "mettre certaines sources en danger".
«C'est un jour sombre pour la liberté de la presse»
Mais un noyau dur lui est resté fidèle, à l'instar de la styliste britannique Vivienne Westwood, et nombre d'associations de journalistes ou de défense des droits humains. "C'est un jour sombre pour la liberté de la presse et la démocratie britannique", a déclaré vendredi son épouse Stella Assange. "Julian n'a rien fait de mal. Il n'a commis aucun crime et n'est pas un criminel. Il est journaliste et éditeur, et il est puni pour avoir fait son travail".