Le vendredi 14 juillet 2023 à 14:00
Cinq policiers de la Compagnie de sécurisation et d'intervention de Seine-Saint-Denis (CSI 93) ont été renvoyés devant une cour criminelle pour violences volontaires aggravées, commises en réunion et avec armes, ainsi que pour falsification de procès-verbal, selon une ordonnance de mise en accusation, révélée par Mediapart.
L'affaire remonte à une interpellation qui a eu lieu à Saint-Ouen le 9 août 2019. Les fonctionnaires sont accusés d'avoir violemment interpellé Thierry L., âgé à l'époque de 20 ans, en lui assénant plusieurs coups, et d'avoir ensuite falsifié le procès-verbal pour couvrir leurs agissements. La victime a porté plainte pour actes de torture, notamment pour avoir reçu plusieurs décharges de pistolet à impulsion électrique, sur ses organes génitaux, dans le fourgon de police.
Dans leur rapport, les policiers ont affirmé que Thierry L. était un dealer, et ont justifié l'usage de la force par sa résistance lors de l'arrestation. Ils ont notamment mentionné avoir dû porter quelques coups "légers" à Thierry L. pour le maîtriser et reconnaissent l’utilisation d’un pistolet à impulsions électriques alors qu’il tentait de mordre l’un d’eux.
«Ils m’ont donné des coups de taser sur les parties génitales»
La version de Thierry L. diffère largement. Selon lui, il a été frappé à plusieurs reprises alors qu'il était au sol, et les policiers lui auraient dérobé les 180 euros qu’il avait gagnés en vendant du cannabis ce jour-là. En outre, les violences se seraient poursuivies une fois à bord du camion de police, où les policiers l’auraient allongé au sol, leurs pieds sur sa tête : "Ils m’ont donné des coups de pied sur la tête, ils m’ont donné des coups de taser sur les parties génitales, (…) là où j’ai vraiment eu peur, c’est quand ils m’ont étranglé, je me suis vraiment vu mourir".
Le rapport médical de Thierry L. fait état de blessures au ventre, à la cuisse, au visage, sur le cuir chevelu, au niveau des cervicales, ainsi que des plaies superficielles visibles au niveau du dos, des genoux et des poignets. Il lui a été prescrit deux jours d'incapacité totale de travail (ITT). L'examen du pistolet à impulsion électrique a confirmé que trois impulsions électriques ont été déclenchées dans la même minute.
Placés en garde à vue en octobre 2019, les policiers ont maintenu leur version des faits, admettant toutefois "quelques imprécisions" dans leur compte rendu. Les vidéos filmées par des voisins ou issues des caméras de vidéosurveillance ont contredit leur version des faits, montrant notamment que l'un des policiers, Kevin C., n'avait pas de brassard et qu'il avait porté plusieurs coups à Thierry L., y compris lorsqu'il était au sol.
Une décision «inédite»
L'avocat de Thierry L., Me Yassine Bouzrou, a déclaré que cette décision de renvoi devant une cour criminelle était "rarissime, voire inédit". Il a salué la décision du juge d'instruction, critiquant cependant les "misérables manœuvres" du parquet de Bobigny qui, selon lui, soutenait les policiers. L'affaire devait initialement être jugée comme un simple délit devant le tribunal correctionnel de Bobigny, mais Me Bouzrou a obtenu qu'elle soit requalifiée en crime, qui relève d'une cour criminelle. L'un des avocats des policiers, Maitre Estelle Camus, a annoncé avoir fait appel de la décision.
Cette affaire s'inscrit dans le contexte plus large des controverses entourant la CSI 93, une unité de police déjà plusieurs fois mise en cause pour ses dérives. Promise à la dissolution par le préfet de police de l'époque, Didier Lallement, la compagnie a finalement été réorganisée et replacée sous l'autorité de la CSI de Paris. En juin dernier, deux policiers de cette même compagnie avaient été condamnés à des peines de prison ferme pour des violences commises lors d'une interpellation à Saint-Ouen, en 2018.