Le lundi 28 février 2022 à 13:04
"Connards, salopards" : la colère était palpable lundi à Marseille à l'ouverture du procès de deux dentistes, père et fils, accusés de s'être enrichis sur le dos de la "Sécu" avec des opérations injustifiées et bâclées sur 322 patients, mutilés à vie pour certains.
Arrivés habillés sobrement - casquettes et blousons sur pantalons et pulls gris -, Lionel Guedj, 41 ans, et son père Carnot Guedj, 70 ans, sont venus prendre place peu après 10h00 sur le banc des prévenus, via une porte dérobée, au premier rang d'une salle de 400 places spécialement aménagée dans une ancienne caserne. Sans dire un mot. Sur les bancs des parties civiles, une centaine de leurs 322 victimes étaient là, qui attendent depuis dix ans de raconter leurs souffrances et obtenir réparation.
Une foule d'où des insultes ont aussitôt fusé, obligeant la présidente, Céline Ballerini, à intervenir : "Que vous ayez attendu longtemps ce procès, que ce moment soit important pour vous, je peux le comprendre", mais "en aucun cas il ne sera accepté des manifestations d'animosité, de menaces ou de commentaires", a-t-elle averti.
Poursuivis, ainsi que leurs sociétés en tant que personnes morales, pour "violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente" et "escroquerie", les deux hommes encourent 10 ans d'emprisonnement et quelque 2 millions d'euros d'amende. L'ordre des médecins les a déjà radiés. Marc Ceccaldi, l'un des avocats des parties civiles, a aussitôt donné le ton auprès de l'AFP, évoquant "un système de prédation de patients" dont Lionel Guedj était "la figure de proue, avec sa séduction, sa démarche commerciale et la mise en confiance" de ses victimes.
Abcès, aphtes, kystes, douleurs, infections à répétition, bouche noire, mauvaise haleine, prothèses qui ne tiennent pas : des années après les faits, beaucoup subissent encore les conséquences d'opérations pratiquées à la chaîne, sans respect des règles de base.
23 dents perdues à 18 ans
"J'étais venu le voir pour une dent qui me faisait mal. Il m'a dit qu'il fallait dévitaliser toutes mes dents. Je lui ai fait confiance. Il avait un beau cabinet, il était gentil. J'ai dû faire retirer à l'hôpital un morceau de fer qu'il avait oublié pendant l'opération", a raconté à l'AFP Yamina Abdesselem, 60 ans, avant l'audience. "Aujourd'hui, je n'ai plus aucune dent, et je vis avec deux appareils qui tiennent avec beaucoup de colle. Pourquoi a-t-il fait cela ?"
Après être passée entre les mains du docteur Guedj, Sarah Chaabi, 18 ans, avait perdu 23 de ses dents, dévitalisées sans aucune justification. "On se disait qu'il n’y aurait pas de procès, qu'ils n'allaient pas se prendre la tête pour nous car la majorité des victimes, ce sont des Maghrébins", avait-elle confié à l'AFP, il y a quelques jours. "La première consultation se soldait systématiquement par un programme massif de travaux impliquant de dévitaliser et couronner un maximum de dents", avait démontré un rapport d'experts, en estimant que Lionel Guedj facturait 28 fois plus de couronnes que la moyenne de ses confrères.
Il roulait en Ferrari
Implanté en 2005 dans les quartiers populaires de Marseille, le cabinet Guedj avait une patientèle pour moitié à la CMU et 99% au tiers payant. Lionel Guedj leur promettait "un sourire de star". Toujours disponible sans rendez-vous, il recevait jusqu'à 70 patients par jour, auxquels il consacrait à peine un quart d'heure en moyenne, selon une expertise de la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône. Cinquante-sept heures par jour auraient été nécessaires pour de tels actes.
Devenu en 2010 le dentiste le mieux rémunéré de France, il roulait en Ferrari, s'octroyait entre 65 000 et 80 000 euros de revenus mensuels et avait accumulé un patrimoine de 13 millions d'euros.
"Il a sans doute commis un certain nombre de fautes ou de négligences. Il n'en est pas fier, il l'admet et il a de la compassion pour les parties civiles", a expliqué à la presse Me Frédéric Monneret, avocat de Lionel Guedj en rappelant que son client contestait tout "faute volontaire qui aurait été dictée par l'appât du gain". Le procès est prévu jusqu'au 8 avril.