Le mardi 22 février 2022 à 12:01 - MAJ mardi 22 février 2022 à 12:22
A l’automne 2019, le Grenelle des violences conjugales rappelait aux Français que la protection des femmes victimes de violences devait être la grande cause du quinquennat d’Emmanuel Macron. Cependant, le 14 février dernier, la demande de suspension d’un policier affecté au commissariat des Ve et VIe arrondissements de Paris après que Mediapart a révélé qu’il aurait insulté une femme venue déposer plainte pour agression sexuelle, a fragilisé les efforts entrepris par la Police nationale en la matière, depuis plus de deux ans.
Le Grenelle des violences conjugales a été suivi de mesures concrètes : l’attribution d'une aide financière aux femmes victimes souhaitant changer de logement, l’élargissement du port du bracelet antirapprochement ou encore la facilitation de l’accès au téléphone grave danger. Un an plus tard, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les femmes victimes de violences conjugales a complété ces premières avancées en ajoutant, notamment, la suspension du droit de visite et d'hébergement du parent violent, l'inscription automatique au fichier judiciaire des auteurs des infractions les plus graves ou encore la levée du secret médical lorsque les violences mettent en danger immédiat la vie d'une victime.
En parallèle, ce Grenelle visait aussi à parfaire la prise en charge des femmes victimes lors de leur dépôt de plainte. En la matière, nul ne conteste l’ampleur des transformations à mener. Rien que sur un plan architectural, la configuration des commissariats de Police nationale n’offre que trop rarement à la victime le niveau d’intimité que requiert pourtant le récit de faits particulièrement traumatisants. Quant au site doublepeine.fr, il se fait régulièrement le relais des témoignages de femmes victimes qui disent avoir souffert, outre des violences conjugales et sexuelles elles-mêmes, d’une mauvaise prise en charge par les policiers.
Force est toutefois de préciser que, depuis 2019, le ministère de l’Intérieur a réagi. Les aménagements des commissariats commence à être revus et des salles à l’accès plus discret permettent le recueil serein des dépositions des femmes victimes. Les prises de plainte en dehors des commissariats se développent. Les moyens dont disposent les enquêteurs se modernisent. Les policiers sont progressivement formés. Dans les départements, des référents sont nommés. Ce sont là autant de progrès que conforte la future Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) même si son vote n’aura pas lieu avant fin juin 2022, dans le meilleur des cas.
La transformation est lente, toujours trop lente aux yeux de certains, mais elle est incontestablement enclenchée.
L’enregistrement dévoilé par Mediapart mardi 14 février dernier contient des mots extrêmement rudes. Par leur violence, les termes employés sont de nature à entacher le crédit des policiers qui, chaque jour, s’engagent aux côtés des femmes victimes. Plus grave, ces mots sont susceptibles de dissuader d’autres femmes victimes de se signaler, considérant qu’elles pourraient de ne pas être crues, soutenues, secourues ou pire, qu’elles risqueraient d’être insultées à leur tour.
Face à cette affaire, les commentaires minimisent ou exagèrent. Ceux qui minimisent ne voient dans le comportement de ce policier qu’une faute individuelle en rien révélatrice d’une mentalité générale. Détachant le fonctionnaire de l’institution, ils jugent sa mise à pied d’autant plus sévère qu’ils ne veulent, ni n’entendent, remettre en cause des pratiques professionnelles solidement ancrées. A l’autre extrême, ceux qui exagèrent, dénoncent la faillite générale d’un système qui, selon eux, crée, entretient et répand la culture du viol. A l’instar du racisme dans la Police nationale ou des violences commises par des policiers, l’approche individuelle s’oppose à l’approche systémique dans le cadre d’un débat aporétique.
Sans-doute est-ce là la preuve d’une sous-estimation de la dimension sociétale de ce problème.
En 2019, un sondage réalisé par l’institut Ipsos révélait qu’un Français sur deux reste convaincu que c’est dans l’espace public qu’on court le plus grand risques d’être violé. Or, non, le viol ne résulte pas seulement de l’agression d’une femme par un homme usant de la contrainte physique dans un lieu public. 90% des violeurs connaissent leur victime et réalisent leur crime dans un espace privé. Oui, le viol peut résulter d’une contrainte psychologique exclusivement, sans être nécessairement accompagné de violences physiques. Oui, le viol peut être conjugal et avoir lieu dans l’intimité d’une chambre à coucher. Oui, le viol d’une femme peut être commis par une autre femme. Toutes ces nuances donnent à voir la variété des situations constitutives de ce fait criminel qu’est le viol alors que la société l’appréhende, trop souvent encore, de façon monolithique.
Étant investie d’une mission de secours et de protection des victimes, il est demandé à la Police nationale de changer vite, très vite et par conséquent plus vite que la société dont sont pourtant issus les femmes et les hommes qui la composent. Et la Police nationale étant à l’image de la société, les mêmes représentations y ont la vie dure.
La lente évolution des mentalités n’est pas une fatalité. Comme les autres agents des administrations et des entreprises, les policiers se forment, apprennent et changent leur regard. Beaucoup voudraient que cette transformation de temps long soit réalisée dans un temps court et leur frustration est d’autant plus grande que les violences intrafamiliales augmentent (+14% en 2021).
Sans renier le combat, ni amoindrir les exigences de celles et ceux qui appellent au changement rapide, rappeler, qu’à l’image de la société et peut-être même plus vite qu’elle, la Police nationale a engagé sa mue, repositionne le débat sur un terrain sociétal. Le faire, c’est éloigner, un peu, la mise en accusation généralisante et injuste de femmes et d’hommes qui, chaque jour, revêtissent un uniforme dans le seul but d’accomplir le « plus beau des métiers » : protéger.