Le lundi 7 décembre 2020 à 11:54 - MAJ lundi 7 décembre 2020 à 12:11
Quelques jours après l'interview du chef de l'État Emmanuel Macron, à Brut, les policiers ont décidé d'exprimer leur ras-le-bol. Dès la fin de son entretien avec les trois journalistes du média digital, les syndicats de police ont vivement réagi. En cause, les propos du président de la République qui a affirmé qu’un individu de couleur était « beaucoup plus contrôlé et identifié comme étant un facteur de risque » et l'annonce de l’ouverture d’une nouvelle plateforme pour signaler les discriminations, alors que celle de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), remplit déjà ce rôle.
"Non,
la Police nationale n’est
pas raciste et elle ne choisit pas sa délinquance", a lancé
Alliance Police Nationale, pendant que l'Unité SGP Police FO
accusait le président de la République de faire de la police sa
"variable d’ajustement". « Reçus à l’Élysée le 15
octobre, lâchés le 4 décembre ». « Les flics en ont assez
d’être stigmatisés ! » s'est exclamé l'UNSA Police. Les
organisations syndicales ont invité explicitement les policiers à
ne plus faire de contrôle d'identité. "Pas de contrôle, pas
initiative, pas de problème !", a conclu Alliance dans un
tract.
"Ni raciste, ni violent, juste gardien de votre paix"
Ce dimanche, des policiers d'Île-de-France se sont organisés de manière indépendante et ont décidé de lancer des actions. Un groupe a été créé sur une messagerie chiffrée, il se nomme "Forces de l'ordre très en colère". Plusieurs milliers de policiers l'ont rejoint en quelques heures et des contrôles "préventifs" ont été instaurés sur des grands axes en région parisienne, notamment à des accès au périphérique et aux autoroutes, provoquant des bouchons et des ralentissements. L'objectif ? Sensibiliser le grand public et se faire entendre. Les forces de l'ordre vérifient notamment les attestations de sortie des automobilistes.
Un message est également diffusé sur ce groupe mais aussi entre fonctionnaires de police : "Début d'un mouvement national des forces de l'ordre", "Message à faire passer : Bonjour. Ni raciste, ni violent, juste gardien de votre paix. Nous continuerons à vous protéger si on nous donne les moyens de le faire".
Viennent ensuite des revendications : "Ras-le-bol général qui dure depuis des années, mais fortement accentué du fait des dernières sorties médiatiques de nos politiques, manque total de considération". Le message fait ensuite référence aux deux policiers impliqués dans l'affaire Michel Zecler, qui ont été mis en examen et écroués à l'issue de leur garde à vue. "Aucune présomption d'innocence, les collègues en détention". "La communication de notre administration est inexistante et l'action des policiers de terrain n'est pas expliquée", déplore le message avant d'appeler à la mobilisation : "Commençons par des contrôles routiers préventifs dans des endroits stratégiques (...) en gare pour les transports en commun (...) le matin, en soirée et la nuit". "Restons fiers d'être policiers".
Des contrôles et la musique des bisounours
Les premiers contrôles ont débuté dimanche soir. Même chose ce lundi matin à plusieurs endroits en région parisienne, sur un fond de musique des bisounours, comme l'a constaté le journaliste Clément Lanot.
« Ni violent ni raciste » sur un fond de musique des bisousnours, des policiers sont présents en sortie d’axes de circulation majeur pour des contrôles.
2 voies sur 3 sont bloquées. La circulation est ralentie. pic.twitter.com/xBgrOatKwt
— Clément Lanot (@ClementLanot) December 7, 2020
"Il n'y a jamais eu un climat anti-flic aussi fort !"
"La grogne est palpable dans les rangs", commente un officier affecté en petite couronne parisienne. "A chaque fois, on donne le sentiment aux policiers d'être responsables de tout et on les pointe du doigt alors que la violence à leur encontre et dans la société augmente de jour en jour. Et par-dessus tout ça, il n'y a jamais eu un climat anti-flic aussi fort !", analyse-t-il. "Près de 170 blessés en deux samedis après les manifestations contre la loi sécurité globale, c'est grave". Même analyse pour un gradé de terrain affecté à Paris que nous avons interrogé : "En quelques heures, des milliers de policiers sont volontaires pour faire des contrôles et exprimer leur ras-le-bol, si ça ce n'est pas le signe qu'il y a un vrai malaise...". "D'autres actions pourraient rapidement voir le jour", ajoute-t-il.
Ce n'est pas la première fois que les policiers s'organisent de la sorte. En juin dernier, l'ancien ministre de l'Intérieur Christophe Castaner avait cristallisé leur colère lors d'une conférence de presse, expliquant que les fonctionnaires de police seraient suspendus à "chaque soupçon avéré de racisme". Il avait dans le même temps annoncé la fin de la "prise par le cou, dite d’étranglement", qui ne serait plus enseignée à l'école et interdite lors des interventions. Une décision finalement mise en suspens.
Des rassemblements avec des jets de menottes avaient été organisés partout en France durant des semaines. Christophe Castaner avait finalement été remplacé par Gérald Darmanin quelques semaines plus tard. L'ancien ministre de l'Action et des Comptes publics pourrait avoir à affronter sa première crise au sein de la police nationale.