Le mercredi 12 octobre 2022 à 10:22
C’est une bataille judiciaire qui menace bon nombre d’enquêtes sur le crime organisé en France. La Cour de cassation a rendu, mardi 11 octobre à Paris, un arrêt concernant l’utilisation de la messagerie chiffrée Encrochat dans une affaire de trafic international d’héroïne vendue à Strasbourg (Bas-Rhin). "La chambre criminelle a rendu un arrêt important, marquant une victoire d’étape pour la défense dans le cadre de la contestation de la validité des preuves issues de cette messagerie", souligne Me Robin Binsard et Me Guillaume Martine dans un communiqué.
C’est en novembre 2018, que les serveurs de l'entreprise néerlandaise - qui est devenue la messagerie du crime - sont localisés à Roubaix (Nord). Le parquet de Lille ouvre alors une enquête. Les gendarmes du centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) piratent le système en utilisant une technique secret défense, et voient en direct les échanges secrets entre criminels du monde entier. Le 13 juin 2020, l’entreprise alerte ses 60 000 usagers que l’étanchéité du système est corrompue par une organisation gouvernementale et conseille à ses clients de jeter leurs appareils. Mais les militaires ont déjà collecté 120 millions de messages, localisé 500 usagers en France et ouvert 70 enquêtes.
Une attestation qui pourrait tout changer
Les avocats parisiens estiment aujourd’hui que la procédure lancée contre leur client est nulle car elle se fonde sur une opération classé secret défense qui "n’avait pas été accompagnée des indications techniques utiles à la compréhension et à leur exploitation". Il leur manquerait aussi une "attestation de sincérité". Autrement dit les cyber-gendarmes auraient dû verser cette attestation dans tous les dossiers où leur travail a été exploité par les services de police judiciaire.
La Cour de cassation a donc ordonné à la chambre de l’instruction de Metz (Moselle) d’étudier si ce document, a été, ou devait être fourni, alors que ces opérations de décryptage sont classées secret défense. Si elle statue en la faveur de la défense, non seulement cette affaire de trafic - qui repose sur les seules interceptions - va tomber, mais bon nombre d’autres procédures, y compris des assassinats, seraient menacées de subir le même sort.
Huit suspects mis en examen
Les investigations sur ce trafic de drogue ont commencé au printemps 2020 quand les gendarmes ont repéré les activités suspectes d’un groupe qui échange en langue turque. Il est question d’une livraison d’héroïne entre les Pays-Bas et Strasbourg. L’enquête a permis d’arrêter et de mettre en examen huit personnes et de saisir une petite quantité de drogue et de l'argent.
Le dernier, âgé de 43 ans, a été mis en examen, le 20 janvier dernier par un juge de la juridiction interrégionale de Nancy (Meurthe-et-Moselle) pour trafic de stupéfiants avant d’être écroué. Ce Turc est soupçonné d’être le fournisseur du réseau strasbourgeois, démantelé en juin 2020. Contacté, son avocat, Me Tarek Koraitem salue la réussite de ses confrères mais ne fait aucun commentaire à ce stade.