Le samedi 26 mars 2022 à 17:47 - MAJ samedi 26 mars 2022 à 18:30
Son visage est connu des policiers, spécialisés dans la lutte contre le grand banditisme, depuis le début des années 2000. Surtout, son strabisme divergent le trahit à des kilomètres aux yeux de ceux qui ont déjà eu affaire à lui. Ce fut encore le cas, ce vendredi à l’heure du déjeuner, lorsque les policiers de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) Nationale lui sont tombés dessus, à quelques encablures de la place de la Madeleine, en plein cœur de Paris (VIIIe). Rapidement menotté, Juanito Chainay, alias « Tito », 35 ans, né à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) n’a pas opposé la moindre résistance aux gros bras de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO). En revanche, un de ses complices a tenté de se soustraire à son interpellation, avant d’être rapidement maîtrisé. Un troisième comparse a également été arrêté.
Le trio est soupçonné d’avoir commis un vol à la fausse qualité au domicile de Nathalie Rheims, écrivaine de 62 ans et dernière compagne de Claude Berri. Quelques minutes avant l’interpellation de « Tito » et ses complices, la victime avait subi le scénario classique mis en œuvre par les spécialistes de cette technique de vol par ruse : un faux employé des Eaux se présente au domicile de la personne ciblée, prétextant une intervention d’urgence ; dans la foulée, deux faux policiers font irruption en assurant à l’occupant des lieux que l’employé des Eaux n’est autre qu’un cambrioleur ; après avoir fait le tour de l’habitation, faux plombier et faux policiers repartent après avoir subtilisé diverses valeurs au nez d’une victime déboussolée… Nathalie Rheims, elle, s’est fait dérober des bijoux et plusieurs montres de luxe contenus dans des coffrets. Des biens finalement récupérés par les policiers de la BRI et trouvés en possession de Juanito Chainay et consorts. Le trio a été placé en garde à vue dans les locaux du 1er district de police judiciaire (DPJ) de la DRPJ Paris. Leurs gardes à vue pourraient durer jusqu’à mardi.
Présenté comme un membre important du grand banditisme francilien, « Tito », dont la mère est la belle-sœur de Marc Hornec, - un des trois frères qui constituent le clan éponyme -, avait déjà eu maille à partir avec la police et la justice à la fin de l’année dernière.
Vêtements Hugo Boss, souliers Berlutti et table chez Robuchon
A l’époque, il avait été mis en examen, pour des faits similaires commis dans les Yvelines et le Val-de-Marne, par Carine Rosso, juge d’instruction de la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Paris. Malgré les éléments à charge réunis à l’encontre de ce malfaiteur chevronné, la magistrate n’avait pas demandé de mandat de dépôt à son encontre. « Tito » avait donc été placé sous contrôle judiciaire avant d’être remis en liberté.
Les enquêteurs de la brigade de répression du banditisme (BRB) de la police judiciaire de Versailles, qui avaient procédé à son audition, avaient eu le plus grand mal à l’interpeller. Rompu aux techniques d’investigations policières, ce père de deux jeunes enfants, membre de la communauté des gens du voyage, ne possède rien à son nom. Aucun téléphone, ni véhicule et encore moins de domicile. Selon les informations d’Actu17, les policiers de la BRB le pistaient après avoir relevé son empreinte génétique sur une boîte à bijoux au cours d’une tentative de vol, au mois d’août 2017, au domicile d’une personne âgée à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines). Le jour des faits, faux employé des Eaux et faux policiers avaient fait irruption… Une discrète surveillance est mise en place autour de « Tito » et ses points de chute. Les policiers découvrent un train de vie en totale inadéquation avec les revenus de cet homme, sans emploi officiel. Juanito Chainay porte beau. Il aime notamment s’habiller chez Hugo Boss et se chausser chez Berlutti. Une de ses « cantines » préférées est un des restaurants du chef étoilé Joël Robuchon. Il y est accueilli en habitué.
Pieds nus et en caleçon, il échappe aux policiers de la BRI
Après plusieurs mois de recherches, les enquêteurs de la PJ Versailles finissent par localiser son domicile dans une discrète impasse d’Aulnay-sous-Bois. Toujours selon les informations d'Actu17, le 23 mars, au petit matin, une colonne d’assaut de la BRI Versailles force la porte du pavillon occupé par Tito et sa famille. Mais si les policiers y interpellent bien son épouse, le père de famille semble avoir déjà pris la fuite. Sans doute alerté par un discret dispositif de vidéosurveillance placé autour de son habitation… En montant à l’étage, les policiers perçoivent du bruit. Repéré sur le toit de sa maison, « Tito » plonge dans le vide avant d’atterrir lourdement dans le jardin de son voisin et de prendre la fuite à pied. Les policiers se lancent à sa poursuite et pensent le tenir alors qu’il s’époumone, pieds nus, dans les rues d’Aulnay-sous-Bois, et simplement vêtu… d’un caleçon ! Mais c’était sans compter sur la providence. A la vue d’une automobiliste, « Tito » lui implore son aide, en prétextant être poursuivi par de mystérieux agresseurs. Cette dernière le dépose un peu plus loin, ce qui lui permet d’échapper aux hommes de la BRI, lourdement harnachés. La perquisition de son logement s’avère fructueux. Deux armes, - un pistolet semi-automatique Beretta, calibre 7,65 mm, chargé et une carabine 22LR, équipée d’une lunette de précision, également munie de ses cartouches -, deux véhicules de marque BMW et Mercedes, loués sous le nom d’un proche, ainsi que des accessoires, des chaussures et des vêtements griffés Louboutin, Christian Dior, Hermès, Louis Vuitton ou bien encore Gucci sont saisis. L’exploration du sous-sol aménagé va aussi permettre aux enquêteurs d’apprendre que « Tito » est amateur de grands crus et autres champagnes millésimés.
Des photos de parties de pêche pour alibi
Les policiers mettent aussi la main sur des gants, une casquette et des talkies-walkies. Et un bien étrange dispositif électrique, composé d’un boîtier et laissant apparaître des fils. L’analyse des émetteurs-récepteurs révèle la présence d’un ADN féminin : celui d’une retraitée, victime d’un vol à la fausse qualité, au début du mois de mars 2021, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne). Cette dernière avait été délestée de bijoux et de plus de deux cents Louis d’or pour un préjudice estimé à près de 65 000€ par le désormais trop connu trio de faux agent des eaux-faux policiers.
Après plusieurs mois de vaines recherches, les policiers de la BRB Versailles pensent avoir définitivement perdu sa trace, alors que « Tito » aurait passé quelques mois de villégiature en Espagne. Mais ce membre chevronné du grand banditisme refait surface au début du mois de décembre dernier et se présente chez les policiers versaillais. Il s’explique sur les faits reprochés. Le boîtier trouvé chez lui est un dispositif qui lui sert lors de passionnantes parties de pêche entre copains. Ce n’est surtout pas un dispositif destiné à berner les victimes et leur faire croire à un matériel sophistiqué utilisé pour détecter des fuites d’eau. Sûr de son alibi, Juanito Chainay fait même produire des photos de ses parties de pêche entre amis pour attester de sa bonne foi. On y distingue un « Tito » posant fièrement dans une barque, à peine mise à l’eau, ou canne à la main dans la parfaite tenue du pêcheur. Des clichés bucoliques qui ont fini par convaincre la juge de la Jirs Paris de le laisser en liberté, à l’issue de sa mise en examen. Toujours selon les informations d'Actu17, Juanito Chainay a également été entendu fin 2021, dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat de Serge Lepage commis en janvier 2009 à son domicile de La Ville-du-Bois (Essonne).
Contacté, l'avocat de Juanito Chainay, Me David-Olivier Kaminski, n'a pas répondu à nos sollicitations.