EXCLUSIF. Ces réseaux criminels qui s’associent face au Covid-19

EXCLUSIF ACTU17. Le récent démantèlement de plusieurs réseaux de prostitution en France a mis en lumière l’association de groupes criminels étrangers qui opéraient auparavant de manière autonome. Une adaptation inattendue, conséquence directe de la pandémie de Covid-19.
EXCLUSIF. Ces réseaux criminels qui s’associent face au Covid-19
Illustration. (Adobe Stock)
Par Actu17
Le dimanche 27 juin 2021 à 16:41 - MAJ dimanche 27 juin 2021 à 16:57

C’est, sans soute, l’un des effets les plus improbables du Covid-19. La pandémie qui frappe le monde depuis le début de l’année 2020 a bouleversé bien des comportements. A commencer par ceux du crime organisé. Notamment spécialisé dans la prostitution. C’est ce que vient de constater la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) après le démantèlement de plusieurs gangs liés à l’exploitation de jeunes femmes, contraintes de faire commerce de leur corps. L’analyse de ce nouveau phénomène a donné lieu à une note de synthèse confidentielle à laquelle Actu17 a pu avoir accès.

Dans ce document, rédigé à la fin du mois de mars par le service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco), il est fait état de « l’adaptation forcée par la crise sanitaire du secteur prostitutionnel ». Une adaptation qui se traduit par une implication plus directe de ressortissants français, sollicités à l’origine pour faciliter la location de chambres ou d’appartements pour accueillir les prostituées et leur permettre de travailler sur le territoire national. Jadis intermédiaires, ils prennent désormais le pas sur les commanditaires de ces réseaux dont les victimes sont souvent originaires d’Amérique du Sud. Dans cette note du Sirasco, il est notamment précisé que la prostitution de femmes sud-américaines s’est organisée à bas-bruit : « de façon très discrète, sans attirer l’attention, ni créer de trouble à l’ordre public, depuis plus d’une dizaine d’années » en France. La prédominance de ressortissants colombiens sur cette activité prostitutionnelle, - ces réseaux représentent actuellement 46% des dossiers traités par l’Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains (OCRTEH), spécialisé notamment dans la lutte contre le proxénétisme -, y est aussi mis en exergue.

« Leurs chefs ne vivent pas en France. Ils sont, pour la plupart, basés en Espagne et dirigent leur structure criminelle depuis ce pays, relate un commissaire de police qui a longtemps travaillé contre le trafic d’êtres humains. Ils s’appuyaient donc sur des relais locaux qui pouvaient être des jeunes femmes, issues de leur réseau et qui étaient montées en grade. La pandémie de Covid-19 a chamboulé la donne. Les frontières se sont fermées et les déplacements ont été rendus plus difficiles, voire impossibles. Ces réseaux ont donc dû trouver des relais franco-français ».

"Des organisations criminelles dont les commanditaires sont de nationalités différentes et qui coopèrent en matière de proxénétisme, c’est très rare"

Dans une affaire récemment mise au jour, un ressortissant français avait pris la main sur plusieurs prostituées sud-américaines, avant de les maltraiter. « Placées sous la surveillance de caméras vidéo, elles étaient menacées, violentées, voire séquestrées, dévoile le Sirasco dans sa note. La crise sanitaire a perturbé le secteur prostitutionnel de part et d’autre des Pyrénées. Depuis 2002, la prostitution est légale en Espagne dans les maisons closes et interdite dans la rue. Cependant, la Covid-19 a contraint le gouvernement espagnol à fermer les clubs tout en empêchant toujours les jeunes femmes d’exercer sur la voie publique ». Des prostituées démunies et sans lien avec des organisations structurées ont alors gagné la France pour pouvoir continuer à travailler. Ces dernières ont notamment pris attache avec un réseau colombien afin de pouvoir bénéficier de sa logistique en matière de prise de rendez-vous avec des clients, via un « call-center ».

« Ce réseau colombien mettait ses services à disposition de prostituées sud-américaines mais également roumaines, poursuit la même source. Les prostituées reversaient entre 20 et 30 € par client à ce réseau, juste pour l’utilisation de ce call-center ». Des alliances « assez inhabituelles ». « Des organisations criminelles dont les commanditaires sont de nationalités différentes et qui coopèrent en matière de proxénétisme, c’est très rare, confirme un haut fonctionnaire, en poste à l’OCRTEH. Récemment, il a encore été observé des colocations d’appartements entre prostituées sud-américaines et roumaines. Et d’autres interactions entre ces réseaux, notamment avec l’intervention d'un chauffeur de nationalité roumaine, qui pouvait prendre en charge des prostituées sud-américaines après accord des chefs du réseau ».

Au début du mois de juin, l’OCRTEH a procédé au démantèlement d’un réseau de prostitution qui exploitait des femmes de nationalité roumaine et brésilienne dans le Nord et le Vaucluse. Sept suspects, dont un résidant en Espagne, ont été interpellés. Une vingtaine de prostituées étaient sous la coupe des organisateurs de ce réseau. « Cela fait plusieurs fois que l’on voit des mélanges de nationalité, a indiqué le commissaire Elvire Arrighi, cheffe de l’OCRTEH à l’AFP. Nous pensons que de plus en plus, avec les réseaux sociaux, ils se rencontrent, mutualisent la gestion pour minimiser les coûts ».

80€ les 20 minutes, 100€ pour 30 minutes et 150€ pour une heure

En 2020, les filières exploitant des victimes sud-américaines ont progressé, passant de huit réseaux démantelés en 2019, à quatorze. Ce sont les filières de traites des êtres humains les plus importantes en France. A l’inverse, la pandémie de Covid-19 ne semble pas avoir eu d’influence sur les tarifs pratiqués par ces réseaux où les « prestations » sont tarifées 80€ les 20 minutes, 100€ pour 30 minutes et 150€ pour une heure. La commission prélevée par le proxénète oscille, elle, entre 40 et 60%.

« Les ententes créées au cours de la crise sanitaire ont révélé la plasticité et la résilience des groupes criminels colombiens à la tête de réseaux de traite des êtres humains. Cette affaire suggère l’existence d’autres cas de décloisonnements opportuns et laisse à penser que des alliances plus pérennes pourraient voir le jour. L’émergence de coopération entre les organisations criminelles colombiennes impliquées dans des atteintes aux biens, notamment de bijoux, et des Roumains en est un exemple », conclut le Sirasco.