Le mardi 15 juin 2021 à 11:27
Le phénomène n’est pas nouveau mais il n’en finit plus de se répandre. D’abord confiné à l’Ile-de-France, le trafic de cocaïne via des passeurs venus de Guyane a gagné les grandes métropoles de province. Avant de s’infiltrer dans des communes de taille plus modeste. La direction centrale de la police judiciaire vient de tirer le signal d’alarme, dans une note confidentielle rédigée au début du mois de mai dernier, face à la propagation de ce trafic dans la région Nouvelle-Aquitaine (Deux-Sèvres, Vienne, Creuse, Charente, Charente-Maritime, Haute-Vienne, Corrèze, Dordogne, Gironde, Lot-et-Garonne, Landes et Pyrénées-Atlantiques).
Acheté entre 3000 et 4000 € le kilo au Suriname, pays frontalier de la Guyane, la même quantité de cocaïne est ensuite revendue entre 60 000 et 70 000 €, une fois acheminée par les désormais fameuses mules en métropole.
Cette drogue, généralement pure à 95%, permet aussi à ses trafiquants de pouvoir multiplier les profits en la recoupant de nombreuses fois. Depuis l’apparition du phénomène, les moyens d’acheminement ont été clairement identifiés. Certains réseaux recrutent des mules, pour quelques milliers d’euros le voyage, - une affaire récente a permis d’apprendre que deux passeurs domiciliés dans l’agglomération bordelaise devaient toucher 7000 € pour assurer l’acheminement de coke entre le Suriname et la capitale de la Gironde -, puis leur confient des valises contenant jusqu’à 15 à 20 kg de coke, sans recourir à des moyens de dissimulation particuliers. Le conditionnement de cette drogue a aussi été observé dans des sous-vêtements ou dans de larges ceintures artisanales placées ensuite autour de l’abdomen des passeurs.
Enfin, dernière technique utilisée : le transport in corpore qui implique que la mule ingère des dizaines d’ovules thermo-soudées renfermant chacune entre 8 à 10 gr de cocaïne. Le démantèlement de plusieurs réseaux a permis aux policiers de découvrir que ce type de conditionnement avait été renforcé de plusieurs couches de film plastique afin de le rendre très résistant et éviter tous risques d’éclatement. Et les trafiquants ne manquent pas d’imagination pour mieux tromper les policiers. Pour preuve, une mère de famille a été récemment interpellée, à la gare de Saint-Jean à Bordeaux (Gironde), avec une boîte de lait en poudre pour bébé renfermant de la cocaïne…
Une jeune bordelaise tuée pour 25 000€
Les enquêteurs de la DCPJ soulignent, dans le même document, que les mules ne partent jamais « à vide » de métropole : elles embarquent avec l’argent liquide destiné à régler un précédent achat ou celui à venir. Une récente affaire qui a abouti au meurtre d’une jeune passeuse présumée a mis en exergue ce mode opératoire. Le 13 mars dernier, le corps sans vie de Alicia F., 25 ans, originaire de la région bordelaise, avait été retrouvé dans le quartier « Raban/Baduel » à Cayenne. La jeune femme avait été exécutée d’une balle en pleine tête, tirée dans son dos. Un couple avait été rapidement mis en examen, puis incarcéré. Les policiers auraient établi que la jeune victime serait arrivée en Guyane en possession de près de 25 000 €, destinés à l’achat de cocaïne. Dans ce dossier criminel, les investigations sont toujours en cours.
Les mêmes policiers ont également observé le « manège » des mules, une fois atterries à Orly. Certaines sont directement récupérées par leurs commanditaires à leur descente d’avion tandis que d’autres gagnent leur destination finale en empruntant tout simplement le réseau ferroviaire, notamment pour se rendre à Bordeaux, Limoges, Niort et Poitiers.
Et même si ce trafic, qui repose sur un acheminement par voie aérienne depuis la Guyane, a été nettement freiné à cause de la pandémie de Covid, il n’en reste pas moins préoccupant.
Cannabis contre cocaïne
« Ce trafic opéré par des mules a pour base des membres de la communauté guyanaise ou surinamienne implantés en métropole, rappelle un policier investi dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ces membres font ensuite appel à des proches vivant toujours au pays pour assurer leur approvisionnement. On constate que le ressort de la direction territoriale de la police judiciaire (DTPJ) de Haute-Vienne est très impacté par ce phénomène de mules du fait de la présence d’une importante communauté guyanaise à Limoges, Niort et Poitiers ». Dans cette même note, la porte de la Venise verte est même désignée comme étant « la seconde ville de France impactée par ce phénomène ». Chiffre à l’appui, près de quarante affaires de trafic de cocaïne, impliquant des malfaiteurs originaires de Guyane, ont été recensées, au cours de l’année 2018, sur les secteurs de Niort et de Poitiers, selon des statistiques de feu l’OCTRIS, rebaptisé OFAST, l’office anti-stupéfiants. Les trafiquants implantés dans ces deux communes « rayonnent » même au-delà de leurs frontières en écoulant leur marchandise jusqu’à Bordeaux, La Rochelle et Saintes. Les mêmes policiers constatent aussi la mise en place de « troc » de drogues entre réseaux criminels des cités bordelaises et des filières guyanaises de Niort : les premiers échangeant de la résine et de l’herbe de cannabis contre de la cocaïnes aux seconds.
Et toutes les « ressources humaines » sont exploitées par les trafiquants. Du coté de Périgueux (Dordogne), dans le cadre du service militaire adapté (SMA), - un dispositif d’insertion socioprofessionnelle destiné à des jeunes éloignés de l’emploi dans les territoires d’Outre-mer -, plusieurs Guyanais ont été confondus pour leur implication dans l’importation et la revente de cocaïne.
Face aux profits colossaux engendrés par ce trafic, une nouvelle tendance est apparue en Nouvelle-Aquitaine où des filières d’importation, sans lien avec la communauté guyanaise, ont investi le « créneau » des mules venues de Cayenne. Ainsi, en juin 2020, un passeur, recruté du côté de Blaye, une commune posée le long de l’estuaire de la Gironde, a été intercepté alors qu’il s’apprêtait à embarquer sur un vol vers Orly avec 9 kg de cocaïne dans ses valises. A la même période, une étudiante bordelaise avait également été arrêtée alors qu’elle transportait 16 kg de coke pour le compte d’un commanditaire en Seine-Saint-Denis. En mars dernier, ce sont encore deux bordelais qui ont été interpellés en possession de 4 kg du même produit.
Enfin, corollaire à la concurrence exacerbée entre réseaux, ce trafic donne lieu à des faits d’une rare violence. En août 2019, un homme de 34 ans, originaire de Guyane, avait été tué par balle, à son domicile situé dans le quartier de la Médoquine à Talence, en proche banlieue bordelaise. La victime serait rentrée de Cayenne, en possession de 6 kg de cocaïne, la veille de son meurtre.