Le jeudi 7 juillet 2022 à 10:23
Les images choc de l'effondrement du pont de Gênes, dans lequel 43 personnes ont péri, ont fait le tour du monde. Quatre ans plus tard, un méga-procès impliquant 59 prévenus s'est ouvert jeudi dans cette ville portuaire italienne pour en déterminer les responsabilités.
Le 14 août 2018, sous une pluie battante, le pont autoroutier Morandi, un axe essentiel pour les trajets locaux et le trafic entre l'Italie et la France, s'écroule, précipitant dans le vide des dizaines de véhicules et leurs passagers. Cette tragédie a jeté une lumière crue sur le piètre état des infrastructures de transport en Italie et sur le rôle trouble de la société Autostrade per l'Italia (Aspi), accusée de ne pas avoir entretenu l'ouvrage d'art pour faire des économies sur le dos de la sécurité.
"Le pont Morandi était une bombe à retardement. Vous pouviez entendre le tic-tac, mais vous ne saviez pas quand elle allait exploser", a déclaré en février Walter Cotugno, l'un des procureurs. Pour lui, il ne fait aucun doute que les dirigeants d'Autostrade et de la société d'ingénierie Spea, chargée de la maintenance, "étaient conscients du risque d'effondrement", mais qu'ils ont rechigné à financer des travaux afin de "préserver les dividendes" des actionnaires.
Le constat de l'enquête des magistrats est accablant : "Entre l'inauguration (du pont) en 1967 et l'effondrement - donc 51 ans plus tard -, il n'a pas été procédé aux interventions de maintenance minimales pour renforcer les haubans du pilier numéro 9", qui s'est affaissé le jour du drame.
La plupart des mis en cause convoqués par le tribunal de Gênes sont des cadres et des techniciens des deux sociétés, dont le directeur général d'Autostrade de l'époque Giovanni Castellucci, parti avec une indemnité de 13 millions d'euros, ainsi que l'ancien patron de Spea Antonino Galata et des fonctionnaires du ministère des Infrastructures.
Témoin encombrant
Ils sont en particulier poursuivis pour homicide involontaire, atteinte à la sécurité des transports et faux en écriture publique. La durée du procès est évaluée à deux ou trois ans.
Pour Giovanni Paolo Accinni, l'un des avocats de M. Castellucci, "le pont s'est écroulé en raison d'un vice de construction caché, c'est pour ça que 40 personnes sont mortes. M. Castellucci n'a aucune responsabilité pénale dans ce drame".
Mais l'accusation pourra compter sur un témoin de taille : Roberto Tomasi, le successeur de M. Castellucci et un cadre d'Autostrade depuis 2015, qui affiche sa volonté de tourner la page et qui pourrait s'avérer encombrant pour son prédécesseur. Autostrade appartenait au moment du drame au groupe Atlantia, contrôlé par la richissime famille Benetton, qui a fini par céder sa part en mai à l’État, poussé vers la sortie sous la pression de la classe politique et de la vindicte populaire.
Si leurs anciens dirigeants se retrouvent sur le banc des accusés, les sociétés Autostrade et Spea échappent en revanche au procès grâce à un accord à l'amiable conclu avec le parquet, prévoyant le paiement de 29 millions d'euros à l’État.
Pour Raffaele Caruso, un avocat qui représente le Comité des proches des victimes du pont Morandi, ce pacte "constitue une première reconnaissance de responsabilité" de la part des deux sociétés.
«La vie n'a pas de prix»
"C'est l'un des procès les plus importants de l'histoire récente de l'Italie, en raison du nombre des mis en cause, de l'ampleur de la tragédie et au regard de la blessure infligée à toute une ville", a-t-il déclaré à l'AFP.
Seules deux familles de victimes ont refusé d'accepter les indemnisations proposées par Autostrade, qui a déboursé plus de 60 millions d'euros à ce titre.
Egle Possetti, la présidente du Comité des proches des victimes, a décliné l'offre pour ne pas perdre la possibilité de se constituer partie civile et de peser sur le procès. "C'est une journée très importante pour les familles des victimes mais aussi pour tout le pays. Nous sommes confiants dans le fait que le procès fera ressortir toute la vérité sur le drame pour éviter que nos proches soient morts en vain", a-t-elle dit à l'AFP jeudi matin sur les marches du palais de justice à Gênes.
L'autre refus est venu de Roberto Battiloro, qui a perdu son fils Giovanni, un vidéaste de 29 ans, dans le drame et qui s'est vu proposer un million d'euros : "La vie de mon fils n'a pas de prix, je veux un vrai procès".