Le vendredi 11 mars 2022 à 18:30 - MAJ samedi 12 mars 2022 à 12:20
Ils ne se sont pas démontés devant les juges : neuf policiers de la BAC de nuit, jugés depuis jeudi à Nancy pour harcèlement moral et injures racistes envers quatre de leurs collègues, ont nié, parfois maladroitement, toute volonté de nuire, vendredi.
Pendant cette deuxième journée d'audience, les prévenus au look de "baqueux" (NDLR: policiers de la bac), cheveux ras, jeans et sweats à capuche, ont tous contesté le harcèlement, pour lequel ils encourent jusqu'à deux ans de prison. Ils ont répété que les victimes s'étaient exclues d'elles-mêmes, alors que "tout se passait bien" à leur arrivée. Selon eux il ne s'agissait que de différends et de "tensions" entre les personnes, et ils ont aussi remis en cause la façon de travailler de leurs collègues.
Les prévenus ont aussi minimisé les propos racistes tenus lors d'une conversation de groupe Messenger envers une des victimes, d'origine maghrébine.
"Ne me dîtes pas que c'est votre correcteur orthographique ?"
"Une bêtise", de la "stupidité", ont-ils regretté. Franck A. a même affirmé qu'il "n'aimait pas les insectes" quand Me Frédéric Berna, avocat des quatre victimes, lui a relu une insulte qu'il avait tenue dans le groupe : il avait traité son ex-collègue d'origine maghrébine, de "vieille blatte pourrie qui essaye comme il peut d'échapper à la désinfection". Le policier victime, bien entendu exclu du groupe Messenger, y était régulièrement traité de "bicot" et de "bougnoule" : des mots écrits sur le coup de la "colère", selon Stephan S.
Autre message, édifiant, lu par Me Berna : un des accusés avait évoqué des migrants arrivant devant un centre de soins. Willy L. avait alors répondu... "au four", puis "Einsatzgruppen", (en français "groupes d'intervention") des unités mobiles d'extermination du IIIe Reich, chargées des assassinats ciblés, notamment de Juifs en Pologne, Union soviétique et dans les pays baltes. Willy L. a répété à plusieurs reprises qu'il ne connaissait pourtant pas ce terme. "Ne me dîtes pas que c'est votre correcteur orthographique ?", a insisté Me Berna. Alexandre A. a lui ensuite défendu ses coéquipiers, affirmant que ces termes ne "correspondaient pas leur personnalité : ils ne sont pas racistes".
Seul Charles D. a affirmé ne pas avoir vu les messages malgré sa présence dans le groupe. Et si cela avait été le cas, il "serai[t] intervenu directement auprès de ses collègues" car "ce n'[était] pas bien".
Quatre radiations
L'ambiance dans la salle était souvent électrique et la présidente, Mireille Dupont, a même dû exclure une femme soupçonnée d'avoir filmé une partie de l'audience : "Je suis sûre que malheureusement, certaines personnes viennent ici pour faire ce genre de choses", a-t-elle déploré.
Dans ce procès singulier, les prévenus avaient été chaleureusement accueillis vendredi matin par leurs collègues en uniforme, qui assurent la sécurité du palais de justice. Lors de ses interrogatoires, la présidente a aussi demandé aux accusés si dans un "contexte de suicides de policiers", ils avaient pris conscience des "conséquences" possibles de leurs agissements. Réponse des intéressés : les victimes "auraient dû dire si ça n'allait pas".
Les parties civiles et les témoins avaient tous raconté jeudi le même mécanisme de mise à l'écart des policiers qui "n'étaient pas d'accord" avec ceux qualifiés de "meneurs du groupe", aujourd'hui sur le banc des accusés. Ils avaient évoqué des pressions psychologiques destinées à les faire craquer, "pour qu'ils partent d'eux-mêmes" du service, et les répercussions sur leur santé et leur vie privée. Ils ont depuis tous quitté la BAC pour d'autres services de police.
Les neuf prévenus sont quant à eux passés en conseil de discipline en octobre dernier. Quatre radiations, une rétrogradation et quatre exclusions temporaires avaient été proposées. Des sanctions confirmées par la hiérarchie, a affirmé jeudi lors de l'audience la commandante de l'IGPN, la "police des polices", Caroline Lamarque, entendue comme témoin. Selon une source proche du dossier, les exclusions temporaires vont d'un an à 15 jours.
Le procès, plus long que prévu initialement, se poursuivra en début de semaine prochaine. Les réquisitions et les plaidoiries des parties civiles et de la défense auront lieu mardi après-midi.