Le mardi 8 décembre 2020 à 10:48
C'est une affaire difficilement croyable dans laquelle au moins un policier est impliqué. Un fonctionnaire de police - principal suspect - fait en effet partie des quinze personnes qui ont été placées en garde à vue dans les locaux de l'IGPN ce mardi matin dans le cadre d'une commission rogatoire révèle Le Parisien. Le fonctionnaire est accusé d'avoir participé à la revente de véhicules volés qui lui étaient confiés dans des procédures judiciaires. Ce dernier a travaillé dans deux commissariats d'arrondissement différents, notamment le XXe.
Plus de 20 véhicules ont "mystérieusement disparu des fichiers de la police" depuis le début de l'année et ont été remis en circulation sans que personne ne s'en aperçoive explique une source proche de l'enquête, citée par le quotidien. Certains valaient plus de 20 000 euros. Une centaine de voitures sont concernées depuis 2017 précise-t-on. Le préjudice dépasse les 3 millions d'euros.
Avant ces 15 interpellations, l'IGPN a enquêté durant plusieurs mois pour des faits de « recel de vol en bande organisée, blanchiment, association de malfaiteurs, corruption et modification frauduleuse de données à l'encontre d'un système informatisé de données mis en œuvre par l'État ». Une information judiciaire avait été ouverte le 9 mars dernier. Au cours de ces investigations, les enquêteurs ont identifié des garagistes et des particuliers en tant que receleurs.
Il n'y aurait qu'un seul policier impliqué, alors même que la hiérarchie du XXe arrondissement n'était pas informée de cette affaire. Les autres fonctionnaires auraient agi sans même se rendre compte de ce qu'il se passait. Ils faisaient les manipulations à la demande de leur collègue, dans un cadre professionnel.
Un système bien rodé
Au départ de cette enquête, plusieurs plaintes de particuliers et une alerte d'Argos qui avait constaté la présence de plusieurs dossiers non-clôturés. Il s'agit d'un groupement d'assurances qui a pour mission de faciliter les recherches de véhicules volés. C'est justement comme ça que le problème est apparu : plusieurs véhicules avaient disparu des fichiers de police alors que ni leur propriétaire ni leur assurance ne les avaient récupérés.
L'une des victimes et son avocat ont été interrogés par le quotidien francilien. Ahmed* habite en Seine-Saint-Denis. Son véhicule a été détourné. Le 14 février dernier, il devait vendre son Audi au prix de 27 000 euros mais celui qui s'était présenté comme un acheteur est parti avec sa voiture au moment de l'essayer. Ahmed a déposé une plainte mais son assurance ne l'a pas dédommagé, étant donné qu'il s'agit d'un vol par ruse.
Plusieurs semaines après, le 11 mai, il a reçu un appel de son assureur qui l'a prévenu que son Audi avait été retrouvée par la police, lui demandant de prendre contact avec le commissariat du XXe. "On m'a pris de haut en me disant que mon véhicule n'avait pas été retrouvé et on m'a même demandé si je ne cherchais pas à arnaquer quelqu'un", raconte-t-il au Parisien. Il recevra finalement une lettre de son assureur le 1er juillet qui stipule que son véhicule n'avait finalement pas été retrouvé et que l'enquête est toujours en cours.
Pendant ce temps, la manœuvre frauduleuse avait été réalisée au commissariat du XXe arrondissement. Au lendemain de la découverte du véhicule d'Ahmed, le 7 mai, avant même qu'il n'en soit informé, l'Audi avait été retirée du fichier des véhicules volés (FOVES) et confiée immédiatement à un garage complice qui avait pour mission de mettre la voiture à un autre nom. Un garage qui n'existe que par une adresse située sur le boulevard Macdonald (XIXe). Un écran de fumée donc comme nos confrères l'ont constaté sur place. En vérité, plusieurs garagistes sont impliqués dans cette affaire, certains en banlieue parisienne.
Il va assigné l'État en justice
Le 12 mai, une femme habitant le Val-de-Marne avait refait la carte grise du véhicule. Elle a ensuite trouvé un acheteur vivant près de Lens (Pas-de-Calais) qui n'y a vu que du feu, la voiture étant immatriculée légalement en préfecture. Le paiement a été réalisé en liquide.
Ahmed qui a été contraint de racheter une autre voiture depuis, a décidé d'assigner l’État en justice. "Cette manipulation n'a pu être effectuée qu'avec l'assistance d'un ou plusieurs policiers, fonctionnaires de l’État", insiste son avocat, Me Arnaud Dobblaire. "L'État a engagé sa responsabilité et doit réparer le dommage causé à mon client".
*le prénom a été modifié