Vague d'arrêts maladie, service minimum : tension dans la police après l'incarcération d'un policier à Marseille

Suite à la mise en examen de quatre policiers de la brigade anticriminalité (BAC) de Marseille pour la violente agression d'un jeune homme de 21 ans, un mouvement de protestation gronde dans la police nationale. Le placement en détention provisoire de l'un d'entre eux suscite un mécontentement parmi les policiers, entraînant une vague d'arrêts maladies et une protestation syndicale vigoureuse. L'un des syndicats a appelé à un service minimum au niveau national.
Vague d'arrêts maladie, service minimum : tension dans la police après l'incarcération d'un policier à Marseille
Des policiers lors des violences urbaines à Strasbourg, près de la place Kleber, le 30 juin 2023. (France Kobi / PhotoPQR / DNA / Maxppp)
Par Stéphane Cazaux
Le vendredi 21 juillet 2023 à 22:01 - MAJ vendredi 21 juillet 2023 à 22:29

Au lendemain de la mise en examen de quatre policiers de la brigade anticriminalité (BAC) de Marseille, dans l'enquête sur la violente agression d'un jeune homme de 21 ans durant les émeutes, dans la cité phocéenne, la grogne s'exprime dans les rangs de la police nationale. Le placement en détention provisoire d'un des quatre fonctionnaires - les autres ont été laissés libres sous contrôle judiciaire - est vécu comme une décision inappropriée et injustifiée, du côté des policiers et des syndicats de gardiens de la paix et gradés.

Ces dernières heures, des dizaines de policiers marseillais se sont fait prescrire un arrêt de travail pour plusieurs jours, parfois pour une semaine ou plus, exposent des sources policières. "Dans la majorité des cas, le motif des arrêts, c'est pour burn-out", expose un officier marseillais expérimenté. "Il faut dire que ces dernières années, les policiers n'ont pas arrêté : entre les gilets jaunes, le Covid, maintenant une vague d'émeutes sans précédent, sans parler des règlements de comptes sanglants qui s'enchaînent et du climat toujours hostile dans les quartiers Nord, mais aussi le fait qu'on a toujours l’appréhension d'être reconnus ou agressés lorsqu'on est en repos. Certains en viennent à se demander ce qu'ils font dans la police".

Une source bien informée évoque près de 400 arrêts maladies déjà comptabilisés, rien que sur Marseille. "D'autres communes du sud sont concernées par cette mobilisation qui s'est répandue assez vite depuis jeudi", confie une autre source policière. "Le mouvement pourrait continuer à s'étendre ailleurs en France".

Ce vendredi, les quatre principaux syndicats de "gardiens" ont pointé du doigt la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) de placer l'un des quatre policiers, âgé de 35 ans, derrière les barreaux. "Cette décision incompréhensible interroge à plus d'un titre", expliquent Alliance Police Nationale et l'UNSA Police dans leur communiqué. "La France tout entière brûlait pendant ces jours d'émeutes. Les forces de l'ordre, bien trop seules, ont dû faire face à un déchaînement inouï de violences et d'exactions. Face à cette guérilla urbaine, ils ont, et c'est ce qui leur était demandé, ramené le calme et rétabli l'ordre républicain", écrivent les deux organisations qui ont fait liste commune lors des dernières élections professionnelles, en décembre dernier.

«Cette décision semble malheureusement basée sur d'autres motivations»

Alliance et l'UNSA Police estiment que leur collègue "se retrouve victime d'une décision judiciaire que personne ne peut comprendre dans un état de droit", rappelant que la détention provisoire "est une mesure d'exception qui s'applique autant aux citoyens qu'aux policiers". Les syndicats assurent que ce fonctionnaire avait des garanties de représentation nécessaires pour pouvoir rester libre sous contrôle judiciaire, et notamment qu'il n'y avait aucune raison de penser qu'il allait fuir à l'étranger. "Cette décision semble malheureusement basée sur d'autres motivations", conclut le communiqué, laissant entrevoir un choix politique ou idéologique.

"On a demandé aux policiers de rétablir l'ordre lors des cinq nuits d'émeutes dont certaines ont été extrêmement violentes à Marseille. C'est ce qu'ils ont fait, comme ils le pouvaient, car ils se sont retrouvés face à un véritable chaos", appuie Rudy Manna, porte-parole d'Alliance Police Nationale. "Aujourd'hui, alors même qu'il n'y avait aucun risque de fuite de la part de ce policier, ni même qu'il aille s'en prendre à la victime, il a été écroué. C'est incompréhensible. Nous avons parfois des personnes en situation irrégulière qui sont déférés pour des vols avec violences, et qui sont libres jusqu'à leur procès, avec un risque évident qu'elles disparaissent et ne soient jamais jugées", poursuit-il. "Mes collègues se sont retrouvés face une guerre civile pendant plusieurs nuits, avec des villes saccagées, et l'un d'entre eux dort maintenant en prison comme un criminel". 871 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers ont été blessés durant cette vague d'émeutes en France, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.

Le policier «traité comme un vulgaire criminel qu’on jette en détention provisoire»

Même son de cloche du côté du syndicat Unité SGP Police FO, dans son communiqué. "Alors qu'on nous rabâche qu'il n'y a pas assez de places de prison pour incarcérer les délinquants et les criminels condamnés, (...) alors que notre collègue ne risque pas de troubler l'ordre public, d'exercer de pression sur les protagonistes de cette affaire, (...) alors qu'un simple contrôle judiciaire n'aurait absolument pas compromis la sérénité de l'enquête (...)", l'organisation dit prendre "acte de ce placement en détention provisoire", "plongeant" ce policier "ainsi que sa famille, dans un désarroi injuste et un traitement dégradant et dangereux pour notre fonction".

Un appel au service minimum

L'Unité SGP Police FO appelle également tous les policiers "du territoire national à se mettre en 562". Il s'agit d'un code qui signifie que les agents n'interviennent que "sur appel" (au "17" notamment, ndlr), ou s'ils sont requis. Un service minimum en d'autres termes. "On ne peut pas conférer au policier le droit à l'usage de la force et le port d'arme puis le traiter - lorsqu’il est mis en cause - comme un vulgaire criminel qu’on jette en détention provisoire", pointe Linda Kebbab, déléguée nationale de l'organisation. "La place d’un policier qui apporte toutes les garanties de représentation, et qui n’exercera pas de pression sur les protagonistes, n’est pas en prison. On a demandé aux collègues de répondre à un contexte de violences inouïes et ensuite on jette ce policier derrière les barreaux, comme s’il avait agi de son initiative. Et surtout, quel mépris quand, dans le même temps, des pédophiles condamnés sont libérés au motif de surpopulation carcérale".

Le syndicat Alternative Police Nationale, affirme de son côté que "cette mesure prise contre notre collègue marseillais est sans objet. Elle ne se justifie ni en termes de trouble à l'ordre public, ni pour garantir sa représentation. Tout comme la présomption d'innocence, les règles élémentaires du droit doivent également s'appliquer aux policiers".

Le climat de tension dans les troupes policières est pris au sérieux du côté de la place Beauvau. Le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, se rendra à Marseille ce samedi pour échanger avec les policiers a-t-on appris dans la soirée.

Une cagnotte ouverte

Une cagnotte en ligne a été ouverte par l'Amicale de la BAC sud de Marseille, pour "soutenir les familles" des quatre policiers mis en examen "et subvenir à leur besoin financier". "Cette cagnotte leur permettra de compenser leur perte de salaire durant le temps de l’instruction", peut-on également lire sur la page de la plateforme GoFundMe. Cette collecte est accessible ici. Un peu plus de 23 000 euros ont déjà été récoltés, par l'intermédiaire de 745 dons.

Le jeune homme victime de cette agression, survenue dans la nuit du 1er au 2 juillet, prénommé Heidi, affirme qu'il était sorti boire un verre avec un ami lorsqu'il a été agressé par un groupe de quatre à cinq personnes, qu'il a identifiées comme des membres de la BAC. Il raconte avoir été visé par un tir de lanceur de balle de défense (LBD) à la tête, avant d'être roué de coups et "laissé pour mort". A ce stade, 60 jours d'incapacité totale de travail (ITT) lui ont été attribués. Il a subi plusieurs opérations chirurgicales. Dans ce dossier, une information judiciaire a été ouverte le 5 juillet du chef de "violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours".