«L’emploi de la force par les forces de l’ordre»

TRIBUNE - Maxime Thiébaut est avocat à la Cour, Docteur en droit public.
«L’emploi de la force par les forces de l’ordre»
Me Maxime Thiébaut.
Par Maxime Thiébaut
Le lundi 7 mars 2022 à 16:31

Rares sont les semaines où la presse n’évoque pas une intervention des forces de l’ordre. Rares sont les semaines où sur les réseaux sociaux ne circulent pas des vidéos de policiers ou de gendarmes faisant usage de la force. Il s’en suit que l’émotion commande les premières réactions. Les analyses des chroniqueurs, politiciens ou experts en expertise vont bon train ; parfois en décalage avec la réalité, souvent en méconnaissance du droit et de sa pratique.

Cet article a pour finalité de mettre fin aux poncifs et aux clichés, tout en offrant à ceux qui nous protègent quelques conseils d’un avocat qui est amené à porter l’uniforme en tant que réserviste opérationnel de la Gendarmerie nationale.

Du cadre juridique

Nous ne perdrons pas le lecteur avec des considérations purement juridiques, à savoir si la légitimation de l’emploi de la force peut être examinée sous l’angle de la légitime défense, de l’autorisation de la loi ou du commandement de l’autorité légitime.

En effet, il ressort clairement de la jurisprudence récente (voir notamment : Crim., 6 octobre 2021, n° 21-84.295) que l’action du policier ou du gendarme doit répondre aux exigences de nécessité et de proportionnalité. Aussi, quel que soit le fondement légal (les articles 122-4, 122-5 ou 122-7 du code pénal, ou encore l’article L. 435-1 du code de sécurité intérieur), le juge pénal appréciera si ces deux conditions sont remplies.

La création de l’article L. 435-1 du code de sécurité intérieure, par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, n’a pas apporté de modification fondamentale. Malgré les apparences, il ressort de la lecture de la jurisprudence récente qu’elle s’inscrit dans la continuité de celle développée depuis de nombreuses années autour des deux principes de nécessité et de proportionnalité.

A toutes fins utiles, précisons par ailleurs que ces principes sont rappelés dès le premier alinéa de cet article : « (…) les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent (…) faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » dans cinq cas énumérés par la suite, à savoir :

« 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d'autrui ;
2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;
3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ;
4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ;
5° Dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsqu'ils ont des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes. »

On précisera que chaque cas doit être lu à la lumière du premier alinéa ; autrement dit que, par exemple, l’ouverture du feu en cas d’atteinte à la vie ne doit être effectuée qu’en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée. De même, conformément à la théorie de la baïonnette intelligente, le juge appréciera la justification donnée par l’agent de police qui aura fait usage de la force à la suite d’un ordre de l’autorité légitime (article 122-4 du code pénal).

De plus, dans le cadre d’une agression, le policier ou le gendarme doit être capable d’expliquer dans quelle mesure l’usage de ce moyen de force utilisé (arme à feu, LBD, bâton de protection télescopique, etc.) était le plus proportionné au regard de la gravité de l’atteinte.

De la justification de l’usage de la force

En d’autres termes, le gendarme ou le policier doit être capable d’expliquer pourquoi - le plus souvent dans la fraction de seconde qu’il eut pour réagir - la force employée était la seule option possible pour mettre fin à l’agression ou l’atteinte. A l’instant précis où il fait usage de la force, le policier ou le gendarme n’effectue pas une analyse juridique de la réponse à apporter : il répond par une action commandée par le terrain qu’il sait nécessaire et proportionnée.

Le travail de qualification juridique n’interviendra que postérieurement lors des éventuelles procédures administrative ou judiciaire. Cette phase intéressera surtout l’avocat et les magistrats ; ces derniers ayant par ailleurs à l’esprit que les conditions de nécessité et de proportionnalité prévalent sur la différenciation des régimes juridiques de justification de la force employée.

Il appartient en fait au gendarme ou au policier de ne pas commettre d’erreurs lors des premières heures suivants l’emploi de la force. Il lui faut acquérir de bons réflexes. Chaque cas est bien entendu différent et les conséquences administratives et judiciaires varieront en fonction du moyen de force employé (arme à feu, BPT, etc.) et des conséquences de cet usage (décès de l’agresseur, blessures graves ou légères, etc.). L’important est d’avoir à l’esprit que tout ce qui sera dit ou écrit pourra être utilisé certes à décharge, mais aussi à charge.

Ainsi, la rédaction d’un procès-verbal ou d’un compte-rendu doit être une description fidèle de l’intervention et une explication factuelle de la force employée. Le policier ou le gendarme n’a pas « à faire du droit » en expliquant, par exemple, avoir agi « dans le cadre de la légitime défense » ou du « cas X du L. 435-1 du CSI ». Ce qui est attendu de lui par sa hiérarchie ou le magistrat est une explication précise et circonstanciée de la situation rencontrée, et de la réponse apportée, pour qu’il puisse apprécier si les moyens déployés répondaient aux exigences susmentionnées de nécessité et de proportionnalité.

Le policier ou l’agent doit donc faire une description précise de la situation (environnement, contexte opérationnel, heure, comportement de l’adversaire et des autres personnes présentes, ordres reçus, etc.), expliquer la chronologie des évènements et exposer les moyens employés.

Lors de cet exercice difficile de retranscription fidèle et exhaustif, le policier ou le gendarme doit avoir à l’esprit qu’il a pu être filmé et que la vidéo pourrait être utilisée sur les réseaux sociaux ou dans le cadre de la procédure. Il va de soi qu’il est préférable qu’il se fasse assister d’un avocat. Il saura le conseiller sur la conduite à tenir et l’accompagner en cas de poursuites ou de mise en examen.

Enfin, notamment en cas de garde à vue après une ouverture du feu, outre le fait de se faire immédiatement assister d’un avocat, il est vivement recommandé de ne pas parler avec ses camarades de l’intervention et de consulter un médecin. Employer la force n’est jamais anodin. Ouvrir le feu l’est encore moins. Le policier ou le gendarme sait qu’il agit dans le seul but de protéger ou de secourir. L’objectif est d’avoir les bons réflexes pour que sa hiérarchie ou les magistrats en soient convaincus.