Le mercredi 9 février 2022 à 17:43
60 jours nous séparent du premier tour de l’élection présidentielle. Ce week-end, l’heure était aux grands meetings : Eric Zemmour rassemblait ses partisans à Lille tandis que Marine Le Pen réunissait ses militants à Reims. Plus tôt dans la semaine, l’heure était aux grands oraux. Celui de la Police, s’est tenu mercredi à l’initiative du syndicat Alliance Police nationale. A la tribune se sont succédé Valérie Pécresse, Eric Zemmour, Marine Le Pen puis Gérald Darmanin qui représentait le candidat non encore déclaré, Emmanuel Macron. Tous ont répondu aux questions des policiers. Tous ont parlé de Justice. Mais presque aucun n’a parlé de… Police.
« Le problème de la Police, c'est la Justice ! ». Le 19 mai 2021, devant l’Assemblée Nationale, les mots tonnent. Deux semaines après le meurtre du brigadier Eric Masson à Avignon, l’émotion laisse place à une colère vive qui cible plus particulièrement la Justice. Pour les policiers réunis ce jour-là, trop c’est trop : la procédure pénale est trop lourde, les mesures alternatives aux poursuites sont trop fréquentes, les sanctions sont trop clémentes, les peines sont trop peu exécutées… Dans la foule réunie ce jour-là, les partis politiques sont présents. Les doléances des policiers en colère sont écoutées. Beaucoup des programmes présidentiels se sont écrits ce 19 mai 2021.
Huit mois plus tard, devant le syndicat Alliance Police nationale, Valérie Pécresse, Eric Zemmour puis Marine Le Pen promettent tous un « big bang judiciaire ». La candidate Les Républicains veut ainsi, pêle-mêle, rétablir les courtes peines d’emprisonnement, rabaisser l’âge de la majorité pénale à 16 ans et augmenter de 50% du budget de la Justice pour juger plus vite et enfermer davantage. Pour sa part, Eric Zemmour souhaite « revenir à des procédures simplifiées où il n’y a pas l’avocat à tous les instants » et concentre ses attaques sur le juge des libertés et de la détention à l’action « néfaste », selon lui. Pour Marine Le Pen, enfin, « c’est l’intégralité de la chaîne pénale qu’il faut remettre sur ses pieds » en doublant, notamment, le nombre de magistrats.
Dans l’Évangile selon Saint-Luc, celui qui voit la paille dans l’œil du voisin est réputé ne pas voir la poutre dans le sien. Cette parabole vaut aussi en matière de programmes présidentiels.
Côté Justice, il est vrai que les taux d’exécution des peines restent perfectibles. Environ sept condamnations sur dix en moyenne sont exécutées dans l’année suivant le jugement avec les ralentissements que l’on connait : les aménagements de peine (7,5 mois de délai d’exécution pour une peine aménagée contre 3,7 mois lorsque le mandat de dépôt est ordonné à l’issue de l’audience) d’une part, et l’absence des mis en cause à leur procès (à peine 3 exécutions sur 10 dans l’année suivant le jugement), d’autre part. Mais, côté Police, que dire de la faiblesse des taux d’élucidation en 2020 ? Près de 9 cambriolages sur 10 sont irrésolus, plus de 8 auteurs de vols avec violence ne sont pas retrouvés, près de 4 homicides sur 10 restent non élucidés… La fragilisation de la filière judiciaire est incontestable. Manque de moyen, baisse d’attractivité, perte de sens, les causes sont connues et les conséquences sont perceptibles. Pourtant, rares sont les candidats à l’élection présidentielle qui en parlent.
Mercredi dernier, à la tribune d’Alliance, celui qui parle de l’avenir du métier de policier n’est pas candidat à l’élection présidentielle : il est ministre de l’Intérieur. Après avoir détaillé les engagements budgétaires de la future Loi de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), Gérald Darmanin parle de la Police du futur. Il parle d’ordinateurs, de tablettes connectées et de Web. Qu’il soit clear, deep ou dark, le Web est devenu le repère des criminels d’aujourd’hui et demain. Se référant à Clemenceau, le ministre de l’Intérieur entend que la Police de demain soit correctement outillée pour lutter contre les cybercriminels qui ont fait de l’espace numérique un refuge. Dans la salle, les policiers écoutent. Plus que les paroles, comme à leur habitude, ils jugeront les actes. Mais une chose est sûre : quel que soit leur choix en avril 2022, leur avenir ne se jouera pas (seulement) Place Vendôme.