Le jeudi 6 juillet 2023 à 13:42
La trajectoire fatale de Nahel M., 17 ans, tué par un policier de 38 ans lors d'une intervention pour un refus d'obtempérer, se dessine peu à peu, à mesure que les détails de l'enquête se précisent. Le drame s'est déroulé le 27 juin dernier à Nanterre (Hauts-de-Seine) et a conduit à la mise en examen pour "homicide volontaire" du brigadier impliqué. Une audience sur le maintien de sa détention provisoire s'est tenue le 6 juillet à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles. C'est dans ce contexte que Jean-Louis Bernadeaux, représentant le parquet général de Versailles, a synthétisé dans un réquisitoire les avancées significatives des investigations comme le rapportent Le Parisien et Le Monde. La cour a par ailleurs décidé, ce jeudi matin, de maintenir le policier en détention.
Le rapport du parquet général de Versailles, daté du 5 juillet, donne un aperçu de la chronologie des événements, depuis la poursuite initiale jusqu'aux premiers incidents impliquant des jeunes et des proches de la victime.
Selon les déclarations du policier mis en cause, il avait remarqué "une Mercedes dont le moteur vrombissait et qui circulait dans la voie de bus". Le véhicule, un modèle AMG capable d'atteindre 100 km/h en 3,9 secondes, avait été loué la veille à la société FullUp Location, à Nanterre. Avant que Nahel M. ne prenne le volant, deux autres personnes avaient utilisé le véhicule dans des circonstances qui restent à déterminer.
Lorsque la Mercedes a rejoint le flux de circulation normal, le brigadier et son collègue - tous deux à moto - ont tenté de l'intercepter. Selon le rapport du parquet, le conducteur a alors accéléré brusquement et pris la fuite, conduisant "à pleine vitesse", franchissant des feux rouges, passant des carrefours à pleine vitesse sans prendre de précautions pour les piétons, et a "même fait une embardée volontaire" vers le policier qui était venu à son niveau.
Un cycliste et un piéton qui manquent d'être percutés
La vidéosurveillance a confirmé que la Mercedes a failli "percuter un cycliste" et "qu’un piéton engagé sur un passage protégé avait dû faire demi-tour en courant pour éviter d’être percuté". Le véhicule a également été vu roulant à contresens à plusieurs reprises. Une fois la Mercedes bloquée par d'autres véhicules, dans la circulation, les deux policiers se sont approchés leur arme de service à la main. Le brigadier a ensuite admis avoir frappé le pare-brise pour "attirer l'attention du conducteur".
L'analyse d'une vidéo amateur, largement diffusée sur les réseaux sociaux, par l'IGPN a révélé un échange entre trois voix différentes avant le tir fatal, détaille Le Monde :
V1 : "… une balle dans la tête"
V2 : "Coupe ! Coupe !"
V3 : "Pousse-toi !"
V1 : "Tu vas prendre une balle dans la tête" (attribué à
P1).
V2 : "Coupe !"
Une fiche Pegase qui ne correspond pas aux échanges radio
Cependant, des contradictions apparaissent dans le rapport. Le premier compte rendu policier, émis six minutes après le tir, à 08h22, évoque plusieurs éléments.
L'opérateur, qui se trouve à la salle de commandement, a écrit, dans une fiche de résumé d’intervention Pegase (pilotage des événements, gestion des activités et sécurisation des équipages), que "le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper" et que "le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire". Toutefois, les enquêteurs de l'IGPN ont constaté que les deux policiers intervenant ne tiennent pas ces propos sur les échanges radio. "Les fiches Pegase sont créées au moment des interventions, souvent très rapidement, pour qu'il y ait une trace écrite des événements en cours. Il s'agit d'un document administratif numérique, qui peut parfois comporter des imprécisions ou des erreurs car il est écrit rapidement, et utilisé à titre informatif, pour l'état-major notamment", observe un gradé de la préfecture de police, que nous avons interrogé. "Il ne s'agit pas d'un procès-verbal, mais d'une trace interne pour diriger les effectifs en situation d'urgence par exemple, et éviter de faire répéter les informations sur les ondes police".
Les déclarations du brigadier, qui était à son neuvième jour consécutif de travail lors de l'incident, apportent d'autres nuances. Le parquet les évoque dans son réquisitoire, de façon synthétique : "Il expliquait s’être retrouvé acculé contre le trottoir et le muret situé derrière lui. Il avait immédiatement pensé que le conducteur allait accélérer alors que pour lui, à cet instant précis, son collègue se trouvait toujours dans l’habitacle. Il avait pris la décision d’ouvrir le feu pour éviter qu’il ne renverse quelqu’un ou "n’embarque" son collègue et alors que lui-même avait été "un peu poussé" lorsque le conducteur avait accéléré."
«Il y a un terroriste qui va tous les attraper»
Plus loin dans le document, le brigadier affirme que son "objectif initial n’avait pas été de tirer". Il a cependant précisé n'avoir pas voulu "viser le haut du corps mais le bas". Au moment de faire usage de son arme, il aurait été déstabilisé par l'accélération du véhicule, ce qui aurait pu le faire tomber entre le trottoir et la chaussée ou voir son collègue "embarqué".
Les deux policiers évoquent une situation très tendue alors qu'ils apportaient les premiers secours à Nahel M., touché au thorax par le tir de l'un des fonctionnaires. Ils décrivent la présence de "jeunes hostiles" ainsi que des proches de l'adolescent. La grand-mère de ce dernier aurait tenu ces propos : "Les deux policiers, ils vont pas sortir (…). Je les attendrai. J’ai des copains qui travaillent au dépôt. (…) Il y a un terroriste qui va tous les attraper Inch’Allah, un terroriste qui va tous les massacrer".