Interpellation violente d'un homme à Paris : la version des policiers

Quatre policiers affectés à Paris ont été suspendus ce jeudi par le directeur général de la police nationale (DGPN) sur demande du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Cela fait suite à une intervention de police ce samedi qui est au centre d'une vive polémique dans le pays.
Interpellation violente d'un homme à Paris : la version des policiers
L'intervention des policiers a été filmée par une vidéo surveillance. (capture écran vidéo/Loopsider)
Par Actu17
Le jeudi 26 novembre 2020 à 23:57 - MAJ vendredi 27 novembre 2020 à 08:11

L'affaire a été révélée par Loopsider ce jeudi matin qui a diffusé des images de l'intervention des policiers. Les faits se sont déroulés ce samedi soir dans le XVIIe arrondissement de Paris. Un homme a été interpellé après une longue intervention de police, avant d'être placé en garde à vue. Michel Zecler, âgé de 41 ans, affirme avoir été victime de violences de la part des trois fonctionnaires. Il s'est vu attribuer 6 jours d'Incapacité totale de travail (ITT), notamment liés à une plaie au cuir chevelu. Les trois policiers qui sont à l'origine de cette intervention - et désormais mis en cause - ont quant à eux reçu des certificats mentionnant, 5 jours, 3 jours et un jour d'ITT. Ils affirment de leur côté avoir reçu des coups et avoir fait face à la rude opposition du quadragénaire dès le départ de leur intervention, qui les a repoussés avant de pénétrer dans son studio d'enregistrement selon eux.

Ils ont déposé plainte contre ce producteur de musique. Une enquête a été ouverte pour "violences sur personne dépositaire de l'autorité publique" et "rébellion", avant d'être classée sans suite par le parquet ce mardi 24 novembre pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Une autre enquête a alors été ouverte contre les trois policiers, pour « violences par personnes dépositaires de l’autorité publique » et « faux en écriture publique ». Les investigations ont été confiées à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

L'affaire survient en plein débat sur la diffusion d'images montrant les policiers, dans la loi de « sécurité globale », adoptée par l'Assemblée nationale ce mardi. Loopsider a diffusé les images d'une caméra de surveillance ainsi que le témoignage de Michel Zecler notamment, dans une vidéo d'un peu plus de 9 minutes qui comporte des séquences qui sont accélérées.

Un contrôle lié au non-port du masque

Les trois policiers ont rédigé leur procès-verbal d'interpellation le soir-même, à l'issue de l'intervention qui a duré près d'une heure et demi. Ces derniers qui sont affectés à la Brigade territoriale de contact (BTC) du XVIIe arrondissement, expliquent que durant leur patrouille en voiture, vers 18h30, ils ont aperçu un homme dans la rue qui ne portait pas de masque et ont décidé de le contrôler, dans la rue des Renaudes. "L'individu ne cesse de jeter des coups d'œil en direction de notre véhicule sérigraphié, paraissant nerveux", décrivent les policiers dans ce procès-verbal.

Deux des policiers, l'un en tenue d'uniforme, le second en civil, s'approchent alors du passant en lui demandant de s'arrêter pour un contrôle. Les fonctionnaires expliquent qu'ils ont senti une "forte odeur de matière stupéfiante" venant de cet homme qui porte une sacoche en bandoulière. Michel Zecler n'a semble-t-il pas été interrogé sur cette affirmation jusqu'ici. "Nous lui avons demandé à plusieurs reprises de stopper sa progression mais l'individu a refusé tout en disant à haute voix 'pourquoi vous me contrôlez' plusieurs fois, tout en continuant à marcher rapidement", indique l'un des policiers dans sa déposition.

"L'homme continue son chemin et, alors que nous tentons de le saisir par le bras pour le maintenir sur place, il se débat en nous repoussant à l'aide de ses mains", écrivent les policiers dans leur PV. Michel Zecler entre alors dans son studio d’enregistrement tandis que les deux policiers sont déjà à son contact depuis cinq mètres selon le récit d'un des fonctionnaires. "L'individu avec sa force nous a entrainé jusqu'à la porte en métal malgré nos injonctions et le fait que nous le saisissions", ajoute-t-il. L'homme à l'imposant gabarit refuse donc de se soumettre au contrôle selon les forces de l'ordre. La suite se passe dans l'entrée du studio d'enregistrement et a été filmée par cette caméra de surveillance dont les images ont été rendues publiques.

A l'ouverture de la porte, les policiers sont visibles et tentent de faire ressortir Michel Zecler, qui ne coopère pas. L'homme s'accroche à la poignée de le porte. La scène dure ensuite de longues minutes dans cet espace très exigu. Le producteur résiste aux différentes prises exercées par les policiers qui veulent le forcer à revenir dans la rue pour pouvoir poursuivre le contrôle dans de meilleures conditions.

"Nous tentons d'interpeller l'individu avec peine. Celui-ci se débat et nous repousse à plusieurs reprises avec ses bras en tentant de nous porter des coups et en hurlant des prénoms comme pour solliciter de l'aide afin d'échapper à notre emprise. Nous tentons vainement de procéder à son menottage", écrivent les policiers dans leur PV. Une lutte s'engage. Les policiers n'arrivent pas à faire sortir Michel Zecler et l'un des fonctionnaires demande du renfort par l'intermédiaire de sa radio.

Des coups reconnus par les policiers

Le quadragénaire qui est encerclé, tente alors de se diriger vers l'intérieur du studio et ouvre la porte, en vain. Sur ces images, il est possible de voir les policiers porter des coups à Michel Zecler, à plusieurs reprises. Des coups qu'ils ont détaillé dans leur PV d'interpellation : "Ne parvenant toujours pas à nous extraire de ce local, le gardien se saisit de sa matraque télescopique et en porte plusieurs coups au niveau du ventre, des jambes, des bras de l'homme. Ce dernier semble totalement insensible à la douleur et parvient à se saisir de la matraque télescopique par le bout. Il tente de s'en emparer".

Il n'est néanmoins pas possible d'avoir une visibilité sur tous les faits et gestes des protagonistes durant la séquence. Les précisions données par les policiers n’apparaissent pas non plus sur les images. Ils affirment pourtant eux aussi avoir reçu des coups, notamment de pied et de coude, et accusent Michel Zecler d'avoir tenté de se saisir d'une arme de service, ce que l'intéressé nie. Leurs déclarations sont désormais accusées d'être fausses. Le producteur, qui dit pratiquer les arts martiaux, a toutefois reconnu durant l'une de ses auditions, s'être saisi de la matraque d'un des policiers durant "quelques secondes", pour se protéger selon ses explications.

"Ce dernier devient dangereux à notre égard, nous trouvant dans un milieu clos, qui ne nous permet que peu de mouvements, nous sommes contraints d'effectuer, via les gestes techniques et professionnels, une amenée au sol de l'individu (…) Dans la débâcle, l'homme tente à plusieurs reprises de se saisir de notre arme administrative, se trouvant dans un étui comportant une sécurité, ce qui entrave ses intentions. Il tente également de se saisir d'un objet se trouvant dans sa sacoche, sans succès et sans que nous ne puissions déterminer la nature de l'objet. L'individu hurle et nous donne des coups avec ses bras et ses jambes", décrivent les policiers dans leur PV. "Son objectif était d'ouvrir la porte au fond du sas pour s'enfuir", a déclaré l'un des trois fonctionnaires. "Toutes techniques étaient inefficaces et lui continuait à crier des prénoms pour appeler à l'aide".

"Les policiers se sont retrouvés confrontés à un homme qui a un imposant gabarit"

"Les coups des policiers sont clairement disproportionnés et choquent, d'autant qu'on ne voit pas l'homme en porter sur la vidéo. Il résiste mais ne se montre pas violent sur cette séquence", réagi un policier d'une BAC parisienne. "Les policiers se sont retrouvés confrontés à un homme qui a un imposant gabarit, qui ne se laisse pas faire et il est souvent très difficile de maîtriser un homme aussi costaud, encore plus quand vous êtes dans un espace aussi petit. Ils ont perdu les pédales", décrit-il.

Après un moment d’accalmie, l'un des policiers parvient à rouvrir la porte d'entrée et à la maintenir ouverte. Michel Zecler refuse toujours de sortir et continue à s'accrocher là où il le peut, comme il est possible de le voir sur ces images. La scène prend fin lorsque les neuf jeunes qui se trouvaient dans le studio parviennent à ouvrir la porte et s'introduire dans l'entrée. En sous-nombre, les trois policiers décident de quitter les lieux.

"Nous constatons la présence d'un escalier semblant donner sur un étage en sous-sol, d'où semble provenir soudainement une dizaine d'individus. Ces derniers crient à plusieurs reprises 'on va vous défoncer', 'vous êtes morts'. Le brigadier tente de bloquer la porte d'accès donnant sur cet escalier, afin que la dizaine d'individus y restent bloqués, ces derniers étant susceptibles de représenter un danger imminent à notre égard", détaillent les fonctionnaires dans ce même PV.

Des renforts de police sont arrivés entre temps. Les occupants du studio maintiennent la porte fermée et empêchent les forces de l'ordre de rentrer, puis une grenade lacrymogène de type MP7 est lancée à l'intérieur et explose, provoquant un nuage qui empêche de voir ce qu'il se passe ensuite.

"On ne sait pas ce qu'il y avait dans cette sacoche samedi soir et on ne le saura jamais"

Michel Zecler est interpellé peu après, tout comme les neuf jeunes qui se trouvaient dans le studio au moment des faits. Ces derniers ont été remis en liberté après une vérification d’identité. La sacoche du producteur n'a pas été retrouvée par les fonctionnaires. Une perquisition a été réalisée lundi dans le studio, soit 48 heures après les faits, nous précise une source proche de l'enquête. "C'est bien trop long mais les policiers font aussi en fonction de leurs moyens", précise-t-on. Les enquêteurs ont à ce moment-là retrouvé la sacoche qui contenait un petit morceau de résine de cannabis dans un sachet transparent et d'autres objets divers. "On ne sait pas ce qu'il y avait dans cette sacoche samedi soir et on ne le saura jamais", souffle cette même source.

Le producteur de musique, qui est bien connu des services de police et de justice pour de multiples faits datant du début des années 2000, toujours selon cette source proche de l'enquête, a expliqué durant sa garde à vue qu'il était un "consommateur occasionnel d'herbe de cannabis". D'autre part, il affirme avoir été traité de "sale nègre" par les policiers durant l'intervention.

Le quadragénaire a été remis en liberté ce lundi après 48 heures de garde à vue et l'enquête le visant a été classée sans suite. Le parquet qui a pris connaissance des images de la caméra de surveillance a ensuite ouvert une nouvelle enquête visant les trois policiers - un brigadier chef et deux gardiens de la paix - qui sont accusés de violences illégitimes mais également d'avoir menti dans leurs déclarations. L'IGPN est en charge des investigations. Michel Zecler a été entendu dans les locaux de la rue Antoine-Julien Hénard à Paris (XIIe) ce jeudi après-midi.

"Je n’ai rien fait du tout. Je n’ai pas mis de coup de poing"

"J’ai la chance, contrairement à beaucoup d’autres, d’avoir eu des vidéos qui me protègent (...) Sinon vous seriez tous en train de faire des sujets sur moi parce que j’aurais agressé un policier", a lancé Michel Zecler ce jeudi après-midi. "Je n’ai rien fait pour mériter ça. Je n’ai rien fait du tout. Je n’ai pas mis de coup de poing", a-t-il insisté et d'ajouter : "J’aimerais que ça ne recommence plus. Caméra ou pas. Ça ne devrait pas arriver. Ils sont là pour nous protéger. Plein font bien leur travail. Et leur travail à eux est terni".

"Ils [les policiers] ne m’ont rien signifié. Ils sont arrivés derrière moi. Je pense en effet qu’ils m’ont suivi. Ils étaient proches de moi quand j’ai ouvert ma porte. Ils m’ont fait peur. Je me suis retourné. J’ai vu un mec en civil. Ensuite j’ai vu un policier", affirme le producteur.

Quatre policiers suspendus

Les trois fonctionnaires impliqués ont été suspendus dans la journée par le Directeur général de la police nationale (DGPN), à la demande de Gérald Darmanin, quelques heures après la diffusion du document de Loopsider. "Je me félicite que l’IGPN ait été saisie par la justice dès mardi. Je demande au préfet de police de suspendre à titre conservatoire les policiers concernés. Je souhaite que la procédure disciplinaire puisse être conduite dans les plus brefs délais", avait écrit le ministre de l'Intérieur un peu plus tôt dans la journée, sur Twitter.

"Ces policiers ont sali l'uniforme de la République. Si la justice démontre les faits, ce qui fait peu de doute, ils seront révoqués de la police", a prévenu Gérald Darmanin sur le plateau de France 2 ce jeudi soir, évoquant des images "inqualifiables, choquantes".

La préfecture de police a également demandé la suspension à titre conservatoire d'un quatrième policier affecté dans le VIIe arrondissement, qui a lancé la grenade lacrymogène dans le studio d'enregistrement précise une source policière. Il a été suspendu à son tour dans la soirée. Le procureur de la République de Paris Rémy Heitz a annoncé qu'il demandait à la "police des polices" d'enquêter "le plus rapidement possible" sur ce dossier.