Le mardi 4 mai 2021 à 12:34 - MAJ jeudi 28 avril 2022 à 11:52
Dans « Maghreb Connection », vous retracez, avec votre confrère Brendan Kemmet, le parcours de nombreux grands bandits, originaires du Maghreb qui ont sévi en France ces trente dernières années. Vous racontez aussi des affaires emblématiques du grand banditisme francilien. Tout d’abord pourquoi ce livre ?
Stéphane Sellami. Vous pouvez même dire au cours de ces 60 dernières années ! L’idée était de relater des époques, des histoires et présenter des personnages qui ont marqué l’histoire des faits divers en France. L’objectif est aussi de resituer sur l’échiquier du grand banditisme ses membres issus de l’immigration. Il y a eu beaucoup de choses écrites sur des hommes qui ont marqué leur époque comme les frères Zemour, Jacques Mesrine, Tony l’Anguille ou Francis Le Belge. Mais rien ou très peu de choses sur ces voyous, d’origine maghrébine, qui ont pourtant marqué tout autant leur époque à travers des casses retentissants ou la prise en main du proxénétisme à Pigalle, par exemple.
Qu’ont-ils changé dans le banditisme et en quoi le milieu a évolué depuis ?
Une génération de braqueurs issus des cités franciliennes a marqué les années 80-90-2000. Plusieurs interlocuteurs que nous avons interrogés, et notamment des policiers à la retraite ou encore en activité, ont reconnu qu’ils n’avaient pas vu monter cette génération. Ces nouveaux gangsters ont été formés par des « vieux de la vieille », avant de s’émanciper. Et de s’associer entre eux. Il y a eu notamment la bande de Montreuil en Seine-Saint-Denis, constituée de jeunes, issus de deuxième génération et de membres sédentarisés de la communauté des gens du voyage. Comme nous l’a confié un avocat qui a eu à les défendre, ils n’avaient peur de rien et se montraient particulièrement audacieux. Ils ont mis en place des modes opératoires (repérages minutieux, emploi de faux vigiles devant une banque en train d’être braquée, séquestration de directeur de banque…) peu ou pas utilisés à l’époque. Ces braqueurs ont peu à peu disparu avec le renforcement de la sécurité dans les banques. Certains ont basculé vers l’attaque de fourgons blindés. Aujourd’hui, l’évolution de cette criminalité a abouti à ce que les policiers appellent le narco-banditisme des cités.
Quels étaient leurs rapports avec la police ?
Pas très tendres. Certains témoins nous ont confié avoir fait face à des policiers d'une grande dureté. Les rapports étaient quand mêmes très tendus, parfois.
Ont-ils fait évoluer le travail et les codes des policiers durant toutes ces années ?
La police a eu mal à prendre au sérieux ces nouveaux venus qui n'étaient ni corses, ni lyonnais ou marseillais et qui les défiaient ouvertement. A l’inverse, certains enquêteurs se sont adaptés à ces voyous, en se grimant à leur tour pour mieux les observer et les filocher ! Nous racontons tout cela.
Nombreux sont les enquêteurs qui estiment aujourd’hui que la procédure est devenue trop lourde et fastidieuse. Est-ce que le travail des policiers à l’époque était plus « simple » ?
Très certainement. Il y avait moins de paperasse, ce qui permettait aux policiers d’être plus souvent sur le terrain avec leurs tontons (des informateurs, ndlr) ou au cul des voyous. La procédure était plus fluide aussi. Nous nous sommes d'ailleurs attachés à raconter ces rapports flics-voyous qui ne laissent pas de traces dans les PV. Nous avons voulu dépeindre toute cette ambiance. On rapporte ainsi les paroles d'un flic de PJ du 18e arrondissement qui, malgré les difficultés, nous décrit « une ambiance d'enfer » dans le Barbès des années 1980 à la grande époque des hôtels de passe.
Qui est le plus « gros » bandit dont vous parlez dans votre livre et quel est le plus gros coup qu’il a réussi ?
Nous évoquons le parcours de quelques beaux mecs, notamment celui de Marcel, dit Nénesse, Bennacer. C’est un des tout premiers à s’être affranchi du milieu « traditionnel » pour tracer sa route dans les années 70. Il a ouvert la voie à d’autres. Il y a aussi le personnage de Mohamed Amimer, surnommé L’Elégant ou bien encore la « Rolls-Royce de la cavale » par les policiers lancés à ses trousses. Il est né à Noisy-le-Sec en Seine-Saint-Denis et a été associé à la fameuse bande de Montreuil. Il a commencé par des cambriolages à la fin des années 70 avant de verser dans les braquages. Il est considéré comme une légende dans le milieu. Un des plus gros coups qu'on lui a attribué est, sans conteste, le braquage d’une banque à deux pas de l’Opéra à Paris à l’été 1994. Ça a été le plus gros casse de l’année en Ile-de-France. Les braqueurs sont repartis avec 20 millions en liquide en francs, dollars, deutsch Mark, yen et florins. Ils étaient au moins quatre et seul Amimer, qui a toujours nié sa participation, et un de ses complices ont été condamnés à 5 ans de prison avec sursis, vingt-trois ans après les faits !
Parmi les nombreuses affaires que vous évoquez dans ces 400 pages, quelle est celle qui est la plus incroyable ?
Probablement le fric-frac de l’île Saint-Louis. A l’été 76, à peine un mois après le casse de la Société Générale à Nice où les voleurs étaient passés par les égouts pour accéder aux coffres, rebelote en plein cœur de Paris ! Nous avons retrouvé des témoins de l’époque qui nous ont racontés comment ces termitiers avaient procédé pendant tout un week-end, dormi et mangé dans les égouts puis creusé un tunnel avant de percer les coffres d’une agence de la… Société Générale, encore une fois ! Mais ces cambrioleurs ont fait plus fort que ceux de Nice puisqu’ils n’ont jamais été identifiés. Il s'agissait aussi d'une des premières équipes mixtes avec des bons « Gaulois » mais aussi des casseurs originaires du Maghreb.
« Maghreb connection » est paru le 29 avril 2021 aux éditions Robert Laffont.