Le mercredi 3 juillet 2024 à 22:10
Un adolescent de 12 ans a été interpellé au domicile de sa mère, à Sochaux (Doubs), le 12 juin dernier par les policiers de la Division de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS, ex-police judiciaire) de Besançon avant d'être placé en retenue. Il a été repéré par les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) alors qu'il consultait régulièrement des vidéos de propagande du groupe terroriste État islamique (EI) et publiait des contenus très inquiétants en ligne et sur des messageries chiffrées.
Après avoir été hospitalisé d'office, le jeune garçon a fait l'objet d'une mesure judiciaire éducative provisoire (MEJP), avec "un module placement", afin qu'il soit "placé dans une structure qui relève de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)", indique le procureur de la République de Montbéliard, Paul-Édouard Lallois, ce mercredi. Il a été "placé dans un établissement quelque part en France". Le parquet national antiterroriste (PNAT) ne s'est pas saisi du dossier et l'adolescent n'est pas poursuivi pour "association de malfaiteurs terroriste". Il doit comparaître fin août devant un juge des enfants.
Cette affaire a débuté le 7 juin dernier lorsque les enquêteurs de la DGSI ont fait un signalement au parquet de Montbéliard au titre de l'article 40. Ils avaient relevé, ces dernières semaines, de multiples publications faisant l'apologie du terrorisme et en lien avec l'EI et l'islam radical, ainsi que de nombreuses connexions sur des plateformes de jeux en ligne. Les policiers ont déterminé que c'est un enfant qui était manifestement l'auteur de ces diffusions inquiétantes, au vu notamment de sa façon de s'exprimer. Les enquêteurs ont ensuite identifié une adresse IP qui est celle d'une famille domiciliée à Sochaux : une mère d'origine algérienne qui vit seule avec son fils de 12 ans, étant séparée du père.
Des vidéos extrêmement violentes
Dans ses activités de jeux en ligne, l'adolescent utilisait des personnages représentant des djihadistes qui exécutaient d'autres personnes avec des armes de guerre, comme des fusils mitrailleurs, ou des couteaux. Il consultait également des vidéos extrêmement violentes montrant des mises à mort, des massacres, avec, en fond sonore, les chants religieux utilisés par Daech.
Le procureur de la République a ouvert une enquête et a saisi la DCOS. "Malgré le fait que tout montrait qu'il s'agissait d'un enfant, il y avait la nécessité de lever le doute rapidement et s'assurer qu'aucun passage à l'acte n'était planifié", souligne le magistrat. Les enquêteurs de la DCOS ont procédé à l'interpellation de l'adolescent, de sa mère, femme au foyer, et de son compagnon, le 12 juin. Les deux adultes ont été placés en garde à vue pour être interrogés tandis que l'enfant a été auditionné dans le cadre d'une retenue, une mesure de garde à vue n'étant possible qu'à partir de l'âge de 13 ans. Ces derniers sont tous les trois inconnus des services de police et de justice.
Une perquisition a également été réalisée dans leur domicile. Les policiers n'ont "rien découvert de particulier", excepté dans la chambre du mineur où ils ont trouvé "des ouvrages religieux et des affiches au mur évoquant l'islam traditionnel", indique la même source. L'ensemble du matériel informatique de la famille a été saisi pour être exploité. Interrogée, la mère de famille a déclaré ne s'être "rendu compte de rien". "Elle a déclaré que le père de l'enfant était responsable", évoquant un séjour en Algérie comme étant à l'origine du comportement de son fils. Des explications sur fond de "conflit parental", ajoute le magistrat. Le père de famille, retraité et vivant dans une autre région, s'est dit "totalement choqué par les faits reprochés à son fils", réfutant toute responsabilité.
L'adolescent a reconnu les faits
Les enquêteurs de la DCOS ont également interrogé l'adolescent. Scolarisé à Sochaux, il ne présente pas de difficulté scolaire mais "s'exprime peu" et il est "très renfermé sur lui-même". Durant ses auditions, il a reconnu "être à l'origine des publications", expliquant que l'islam est "visé par de la haine". Certaines publications, reprenant la propagande de l'EI, visaient la communauté juive et la communauté homosexuel. A l'issue de cette première retenue, le jeune suspect a fait l'objet d'une hospitalisation spécialisée, "sans possibilité de contact" avec l'extérieur, à la suite d'un examen médical.
Les policiers ont quant à eux exploité les différents supports informatiques de la famille. Ces recherches ont montré que l'adolescent était le seul à avoir posté ses publications, et qu'il avait commencé à visionner ces images atroces à l'été 2022, alors qu'il n'avait que 10 ans. "Les consultations sont ensuite montées crescendo", déplore le procureur. "Il passait plusieurs heures par semaine à visionner ces vidéos de propagande particulièrement violentes". Les investigations ont, en outre, fait ressortir qu'il n'avait pas été "en contact avec une personne physique l'ayant incité" à faire ses publications ou à visionner ces vidéos. Sur les messages chiffrés, le suspect indiquait notamment s'intéresser à la conception d'explosif et en avoir déjà fabriqué, mais les investigations n'ont pas permis d'établir que c'était le cas. Le procureur a précisé avoir échangé régulièrement avec le PNAT au fur et à mesure de l'évolution de cette procédure, "comme c'est le cas à chaque fois pour ce type de dossier".
«Des troubles du développement et de l'image de soi»
L'adolescent a de nouveau été placé en retenue à sa sortie de l'hôpital, vendredi dernier. Un examen psychiatrique, dont les conclusions sont encore provisoires, a montré qu'il présentait "des troubles du développement et de l'image de soi" ainsi qu'une "altération du discernement". L'expert a par ailleurs précisé dans ses conclusions provisoires que le mineur avait "une conscience assez nette du caractère répréhensible de ce qu'il faisait". Le suspect a été déféré dans l'après-midi devant le procureur de la République. Il est poursuivi des chefs d'"apologie publique d'actes de terrorisme au moyen de communication public en ligne" et de "provocation directe à un acte terroriste au moyen de communication en ligne". Le magistrat a souligné "l'importante fragilité du mineur", "un enfant qui a beaucoup pleuré" durant ses auditions.
Une personne majeure encourt jusqu'à sept ans de prison pour ces faits. L'adolescent de 12 ans risque quant à lui des sanctions éducatives, et notamment le maintien d'une mesure judiciaire éducative provisoire (MEJP) jusqu'à sa majorité.