Le mercredi 18 mai 2022 à 23:45
Au sixième jour du procès, la présidente s'est agacée mercredi des explications des prévenus. "Alors à partir du moment où il y a un aviseur (informateur, ndlr) dans une affaire, il n'y a pas de contrôle normal, pas de procédure écrite ?", interroge-t-elle.
Devant le tribunal correctionnel depuis le 9 mai, les plus hauts gradés de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) maîtrisent le verbe et l'attitude, costumes impeccables, chaussures élégantes et attachés-case, pour évoquer leur métier. Leur subordonné Pascal Schmidt est plus agité. "Je n'arriverai pas à trouver les mots" dit-il, dansant d'une jambe sur l'autre, remontant ses lunettes en tentant d'expliquer sans trop en dire ce milieu où "tout est anormal, hors des normes". Il supervisait l'antenne havraise de la Direction des opérations douanières (DOD), branche de la DNRED chargée de rechercher le renseignement opérationnel et tout particulièrement celui provenant de source humaine.
"C'est très compliqué de pénétrer la profession des dockers, ces gens sont très fermés", explique M. Schmidt. Il faut donc aux "gabelous" s'appuyer sur des sources qui ne sont "pas forcément d'une grande honnêteté ou fiabilité" et redoubler de discrétion pour obtenir d'elles des "tuyaux". Peu de choses se disent, peu s'écrivent à écouter les prévenus, mais les affaires se font et s'avèrent fructueuses. L'informateur serbe Zoran Petrovic a ainsi permis aux douanes entre 2011 et 2015 de réaliser 32 saisies - contrefaçons, médicaments et cigarettes de contrebande, en échange de quoi il a perçu près de 400 000 euros des douanes.
«Montée de toutes pièces»
Un coup a cependant grippé les rouages : la saisie en 2015 de 43 tonnes de café contrefait, débarquées dans un chargement de 120 tonnes. "Une affaire montée de toutes pièces" pour gonfler les résultats, soupçonne la justice qui juge six douaniers et trois intermédiaires, notamment pour importation en bande organisée de marchandises contrefaites.
A la barre, les prévenus racontent avoir été au courant à des degrés variables des tenants et aboutissants de l'opération. L'un des "indic" a eu "très peu d'informations", affirme M. Schmidt. "Il sait juste que c'est du café destiné à la région parisienne, c'est tout ce qu'il a besoin de savoir" quand c'est "borderline". Un autre intermédiaire mobilisé pour entreposer la marchandise confirme à la barre avoir "voulu en savoir le moins possible" pour sa sécurité. En échange, les douaniers "ferment les yeux" et ne demandent rien ou peu sur les activités, de contrebande ou autres, de leurs informateurs, résume le procureur.
L'identité, voire l'implication même de ces aviseurs, "n'est pas connue de toute la douane", poursuit M. Schmidt. "J'ai essayé de faire mon travail même si je n'avais pas tous les éléments", "court-circuité" par Le Havre, assure ainsi Gaël Guillaume, chef d’échelon régional de la DOD à Rouen. "Je ne pose jamais de questions, je ne pensais pas avoir de réponse" de Paris, explique M. Schmidt qui jure, par exemple, n'avoir su que tardivement que son indic était placé depuis 2009 sur la liste noire des sources, car jugé dangereux. A la barre, ce dernier est celui qui a le verbe le plus libre.
- "Vous avez parlé" des détails avec la plus haute hiérarchie ?, s'enquiert la présidente.
- "Non, mais tout le monde était au courant", dit M. Petrovic. Puis il se met à expliquer, presque pédagogue, comment les organisations criminelles le contactent pour acheminer des marchandises. "Quand j'ai cette information, je la transmets à M. Schmidt qui demande à sa hiérarchie qui ensuite décide de lancer ou non une opération". Mais dès que la présidente demande des précisions, des noms, le trafiquant serbe se ferme. "Je ne peux pas répondre sur ça", dit-il, bras croisés sur son torse corpulent.