Le mercredi 14 décembre 2022 à 00:11
"Je devais protéger mes hommes". Accusé d'un lancer de grenade "injustifié" qui a éborgné un syndicaliste lors d'une manifestation en 2016, un CRS a défendu mardi devant les assises de Paris "l'absolue nécessité" de son tir, admettant seulement un geste "raté".
La soirée est déjà bien avancée quand Alexandre M., brigadier-chef de 54 ans, s'approche de la barre pour répondre de ce jet de grenade à main de désencerclement (GMD), qui a causé à Laurent Theron, qui manifestait contre la loi travail ce 15 septembre 2016, la perte de son œil droit.
Les mains posées sur le pupitre, déterminé à s'expliquer, le policier déroule dans un vocabulaire quasi guerrier les événements qui l'ont amené à recourir à cette arme, désormais disparue de l'arsenal du maintien de l'ordre. Ce jour-là, la compagnie de CRS qu'il avait rejointe deux semaines plus tôt après vingt ans en poste dans un commissariat de nuit, faisait face au "déchaînement de violences" d'une "nébuleuse" qui a "tenté de tuer des policiers", assure Alexandre M. Il voit des collègues atteints par des cocktails Molotov "s'embraser, se transformer en torches humaines". Des gendarmes mobiles coincés dans une bouche de métro subissent également les "attaques" de manifestants, insiste l'accusé. Son lancer de grenade intervient quarante minutes plus tard, à 16h53, sur la place de la République, alors plutôt clairsemée.
Des policiers entendus comme témoins ont souligné que la situation s'était alors "un peu calmée", d'autres mentionnent la présence encore d'"éléments perturbateurs" jetant des projectiles. Ordre est donné de "disperser" ces "groupes hostiles" à l'aide de "bonds offensifs". Seul, Alexandre M., passé chef de groupe en cours de manifestation et qui n'était ni formé au maintien de l'ordre ni habilité au lancer de GMD, tirera une grenade à main de désencerclement.
«Je voulais juste provoquer un repli»
Depuis l'ouverture du procès lundi, les débats sont âpres, rugueux, et la salle d'audience scindée en deux entre les soutiens du syndicaliste, qui expriment souvent à haute voix leur désapprobation, et ceux plus clairsemés et silencieux du policier.
La cour devra déterminer si le CRS était en danger immédiat quand il a lancé cette grenade, et donc s'il a agi dans l'état de nécessité ou en légitime défense. Les vidéos projetées à l'audience n'ont pas permis de confirmer, comme il l'a toujours soutenu, qu'il avait reçu juste avant un "projectile sur le bras", qu'il assimile, par le "bruit de verre" qu'il entend, à un "jet de cocktail Molotov qui a raté". "Je décide de faire usage d'une grenade pour protéger mes hommes (...) Je voulais juste provoquer un repli, déstabiliser le groupe hostile, en aucune manière blesser quelqu'un", affirme Alexandre M., "il fallait absolument le faire".
«Est-ce que vous avez commis une erreur d'appréciation ?»
Il admet juste avoir "raté (son) geste". Il voulait lancer la grenade vers la droite et le "groupe hostile", au ras du sol comme l'impose la doctrine d'emploi, il a pris trop "d'élan, elle s'est élevée" et a fini par percuter à grande vitesse le visage de Laurent Theron, un manifestant "pacifiste". Entendu dans la matinée, ce secrétaire hospitalier et militant du syndicat Sud-Santé de 53 ans, partie civile, a raconté à la cour comment sa vie avait "totalement basculé" après sa blessure. Répondant aux "regrets" exprimés par le CRS, Laurent Theron a déploré que l'accusé n'ait "absolument pas pris la responsabilité" de son geste. "Mon souhait, ce n'est pas que vous alliez en prison mais que vous soyez révoqué", a asséné le syndicaliste, dans une déposition aux airs de tribune contre les "violences policières".
La présidente de la cour, Catherine Sultan, aimerait également comprendre un peu mieux les "excuses" de l'accusé. "Le 15 septembre 2016, est-ce que vous avez commis une erreur d'appréciation ?"
"J'ai agi au mieux pour mes hommes", répond Alexandre M. "Mais est-ce que vous vous êtes trompé ?", le relance la magistrate. "Non", tranche l'accusé. Verdict attendu mercredi.