Le mardi 31 mai 2022 à 10:06 - MAJ mardi 31 mai 2022 à 16:47
Enfin, la parole leur a été donnée. Mardi, pendant la sixième semaine du procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, les victimes et leurs proches ont témoigné devant le tribunal d'Evry, décrivant des scènes d'horreur aux conséquences toujours prégnantes sur leur vie, neuf ans après le déraillement.
Une quarantaine de rescapés, blessés, proches des sept victimes décédées ou représentants de syndicats ferroviaires vont déposer à la barre pendant plusieurs jours. En tout, 435 victimes ont été identifiées et parmi elles, 184, dont 9 personnes morales, se sont constituées parties civiles et moins d'un quart ont décidé de témoigner.
"C'est le parcours du combattant pour les victimes", a regretté Jean-Luc Marissal, le vice-président de l'association des victimes de Brétigny (EDVCB). "Beaucoup de personnes ont abandonné car elles n'avaient pas de soutiens, elles n'avaient pas la force, et je les comprends", a-t-il ajouté.
M. Marissal est le premier à avoir pris la parole, en cette journée très attendue des parties civiles après cinq semaines d'audiences techniques où le tribunal a essayé de comprendre si le train Intercités Paris-Limoges a déraillé en gare de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013 à cause d'un problème de maintenance du réseau ou en raison d'un défaut indécelable de l'acier. Avant de s'exprimer sur son cas personnel, M. Marissal a lu au tribunal le témoignage d'une sexagénaire, Dominique D., toujours trop bouleversée pour pouvoir se rendre au procès.
Dans sa lettre, cette femme a raconté "le bruit, le chaos, la montagne de ferraille" autour d'elle au moment du déraillement. Encore marquée physiquement et psychologiquement, elle essaie de se reconstruire et "travaille depuis deux mois à rentrer dans la gare, aller sur les quais, sans train puis avec train", malgré les "fourmis dans les jambes" au moment de l'arrivée de la locomotive. Neuf ans après, elle s'interroge toujours : "Pourquoi eux et pas nous ?" en pensant aux morts.
Face à ces victimes, leurs voix nouées, leurs yeux embués, la présidente Cécile Louis-Loyant encourage, réconforte. "N'ayez pas peur des mots, on est là pour les entendre, c'est un moment important pour vous", leur a lancé la juge en début de journée, les invitant à "prendre (leur) temps, et à respirer" pour cette prise de parole.
Réveil en sursaut
D'âges, parcours ou professions différents, la douzaine de parties civiles qui se sont exprimées mardi ont en commun un même traumatisme et une peur des trains qui persiste.
Un des blessés, Philippe G., a expliqué dorénavant voyager très tôt pour dormir dans le wagon. Quand cela n'est pas possible, il prend des somnifères. "Mais je me réveille toujours en sursaut quand je passe à un aiguillage", a-t-il précisé. C'est sur un tel appareil de voie qu'une éclisse, sorte d'agrafe métallique, s'est retournée, provoquant la catastrophe le 12 juillet 2013. Quand il vient à Paris, cet homme prend la voiture. "J'ai tout faux, je le sais", a-t-il reconnu, conscient des risques d'accident automobile. "Mais j'ai plus confiance en moi et en ma conduite qu'en la SNCF".
Nathalie M., enseignante, aurait dû, elle, prendre le train précédent. En retard, elle est finalement montée dans l'Intercités Paris-Limoges 3657, qui a quitté la gare d'Austerlitz à 16h53 avant de dérailler à 17h11 à Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne. "Je me suis dit 'c'est pas grave c'est les vacances, j'ai un billet échangeable, il n'y a pas mort d'homme'", a-t-elle expliqué, des trémolos dans la voix. Quand elle se lève pour se rendre aux toilettes, elle sent "de grosses secousses". Elle se retrouve "ballottée, cognée". Très vite, "des gens sont venus pour nous aider à sortir, ils nous ont dit de ne pas regarder par terre".
Elle appelle alors son compagnon et lui annonce que le train a déraillé. Ce dernier ne comprend pas immédiatement, pensant d'abord que c'est une métaphore. A ce jour, Nathalie M. ne reprend toujours pas le train. "Mais la voiture c'est pas toujours pratique, surtout sur Paris", sourit-elle.
L'audience a été suspendue en début d'après-midi et reprendra mercredi matin. Le cadre qui a réalisé la dernière tournée de surveillance, SNCF Réseau (ex-RFF) et la Société nationale SNCF sont jugés jusqu'au 17 juin pour "homicides involontaires" et "blessures involontaires". Les réquisitions du parquet sont attendues le 14 juin, suivies des plaidoiries des avocats de la défense.