Le mardi 10 mai 2022 à 00:13
Des conditions d'approche "dégradées" et des manœuvres de pilotage "manifestement" fatales : le tribunal s'est penché sur les instants qui ont précédé le crash de l'avion de la Yemenia Airlines au large des Comores en 2009, tuant 152 personnes, lundi au premier jour du procès à Paris.
Une centaine de proches des victimes se sont massés dans la salle du tribunal judiciaire où est jugée jusqu'au 2 juin la compagnie aérienne yéménite pour homicides et blessures involontaires. Bahia Bakari y a également pris place, au premier rang : unique rescapée alors âgée de 12 ans, elle a survécu en restant agrippée en mer pendant onze heures à un débris, avant d'être secourue par des pêcheurs. Vêtue lundi d'un chemisier blanc et d'une veste noire, elle a refusé de s'exprimer devant la presse. Elle doit témoigner le 23 mai.
Le banc des prévenus est quant à lui resté vide : aucun représentant de la Yemenia Airways n'est présent à l'audience, à cause de la guerre qui déchire le pays, selon la défense. "C'est très regrettable. S'ils ne se présentent pas, c'est qu'ils ont quelque chose à cacher", a estimé Jeff Bakari, père de Bahia et qui a perdu son épouse.
«Une situation de décrochage qui n'a pas été récupérée»
Dans la nuit du 29 au 30 juin 2009, le vol Yemenia 626 s'était abîmé au large des Comores, juste avant son atterrissage à Moroni, avec à son bord 11 membres d'équipage et 142 passagers, dont 66 Français. Accusée de "manquements et négligences", la Yemenia Airways, qui opérait le vol, conteste les faits. Elle encourt 225 000 euros d'amende.
Les débats de lundi se sont cependant concentrés sur la manœuvre d'approche de ses pilotes, "non stabilisée" et qui a "conduit visiblement à une situation de décrochage (de l'appareil) qui n'a pas été récupérée", a déclaré à la barre le lieutenant Mathieu Tétu, directeur de l'enquête pour la section de recherche des transports aériens de la gendarmerie. Le "facteur humain" est "a priori" responsable de l'accident, le plus grave de l'histoire de l'archipel des Comores, situé dans l'océan Indien entre le Mozambique et Madagascar, a-t-il ajouté.
Insuffisance dans la formation des pilotes
Le commandant de bord et le copilote, tous deux yéménites, doivent effectuer une manœuvre difficile de nuit pour atterrir et qui nécessite d'avoir la piste en visuel. Or, les feux situés plusieurs kilomètres en amont de l'aéroport indiquant le relief sont en panne, comme ceux matérialisant le début de la piste d'atterrissage et la balisant. De plus, peu de lumières entourent l'aéroport de Moroni, situé en bord de mer et assez éloigné des premières habitations.
La défense de la Yemenia interroge dès lors le directeur d'enquête: les conditions d'atterrissage peuvent-elles expliquer la manœuvre des pilotes ? "Les conditions sont dégradées, c'est un fait. Mais je ne peux pas dire qu'ils n'avaient pas de repères visuels, car les autres feux de l'aéroport étaient allumés. Il n'y avait pas d'absence totale de repères visuels" répond-il.
Au-delà des erreurs de pilotage, les magistrats instructeurs reprochent à la Yemenia d'avoir maintenu les vols de nuit pour Moroni alors que les pannes des feux de balisage étaient connues de longue date, ainsi que des insuffisance dans la formation des pilotes. L'atterrissage compliqué à l'aéroport comorien nécessitait, de par les "manœuvres particulières" demandées, une formation "ad hoc", selon le lieutenant Tétu. Il ne "sait pas" si les pilotes l'ont effectuée, n'ayant pas reçu le dossier professionnel complet de ces derniers de la part de la compagnie.
Enfin, si l'instruction a conclu que l'état de l'appareil n'était pas en cause, la Yemenia faisait-elle voler des "avions-poubelles" ? Certains proches et avocats de victimes le pensent, alors que les passagers français avaient embarqué à Paris et Marseille avant de changer d'avion à Sanaa, au Yémen.
Les conditions de voyage entre la France et les Comores, via le Yémen, étaient par ailleurs dénoncées de longue date par des passagers. Selon le lieutenant Tétu, l'Agence européenne pour la sécurité de l'aviation avait "mis sous surveillance" en novembre 2008 la Yemenia pour des "carences relevées" sur ses avions, mais ne l'avait pas placée sur la liste noire des compagnies aériennes après qu'elle a procédé à des "mesures correctives".