Le vendredi 10 juin 2022 à 09:06
Il l'assure, il a été mis "devant le fait accompli". Au procès à Paris du vol d'un Banksy au Bataclan, un des huit prévenus s'est défendu jeudi d'avoir "commandé" l’œuvre en affirmant avoir organisé son transport par amitié et dans la "précipitation".
Trois hommes ont reconnu le vol, le 26 janvier 2019 peu après 4h00 du matin, de cette porte arrière de la salle de spectacle ornée d'un pochoir revendiqué par l'énigmatique street-artist britannique, une peinture considérée comme un hommage aux victimes du 13-Novembre.
Mehdi Meftah, chez qui la porte a été acheminée le jour-même dans le Var, est jugé à leurs côtés. Ce père de famille de 41 ans, qui a gagné 5,5 millions d'euros au loto et avait lancé avant cette affaire la marque de t-shirt de luxe BL1.D, dit avoir "commis une erreur" et "regretter d'avoir participé à tout ça". Le jour des faits, "je me retrouve devant le fait accompli", jure-t-il à la barre, crâne rasé, veste bleue et pantalon beige. Face aux deux hommes qui lui présentent l’œuvre, il raconte s'être exclamé : "qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ?"
"Et Jo me dit : 'je te préviens, je remonte pas avec'", poursuit-il. "Je fais quoi, j'appelle la police ? Jo, c'est mon ami, à la mort je vais avec lui", ajoute-t-il, expliquant avoir accepté que la porte soit stockée dans son box.
L'un des membres du trio ayant reconnu le vol a pourtant déclaré qu'on lui avait parlé d'une "commande" de Mehdi Meftah, qui aurait pu revendre la porte aux États-Unis.
"Eux, ce qu'ils ont fantasmé sur moi ou ce qu'ils se sont montés comme film, c'est pas à moi qu'il faut poser la question", réplique-t-il. Pour lui, celui qui a dit cela a voulu "trouver un échappatoire". "J'attends ce moment pour pouvoir m'exprimer depuis deux ans (il a été interpellé en 2020, ndlr). A chaque fois que j'ai essayé de dire quelque chose, on ne m'a pas entendu !" s'emporte-t-il aussi, se décrivant comme le "faire-valoir de cette histoire".
«Invendable»
Amateur de street-art, Mehdi Meftah a un temps possédé une sérigraphie de Banksy, souligne la présidente du tribunal, qui l'interroge sur son intérêt pour l'artiste. "J'ai grandi dans la rue" et le street-art, "si c'est devenu le nouveau truc à la mode", "nous, on a vécu avec ça", répond-il en assurant connaître l'artiste depuis longtemps.
Après ses gains au loto, "je vois qu'il a une cote, son message est intéressant. J'ai les moyens, je peux me payer un Banksy". Il assure cependant avoir depuis déchanté par rapport au "double discours" de l'artiste. La porte a été évaluée entre 500 000 et un million d'euros pendant l'instruction par la directrice du Bataclan, relève la présidente. "Les quelques experts qui se sont exprimés ont dit : invendable", réagit notamment le prévenu.
Au fil des questions du tribunal, il poursuit. "Quarante-huit heures" après avoir réceptionné la porte, "je me rends compte de ma connerie". "Je la prends, je la mets dans mon camion, je la fais partir. J'éloigne le problème". Recouverte de sable, l’œuvre a été conduite dans un hôtel de Tortoreto, dans les Abruzzes italiennes, par son cousin et l'un de ses amis - qu'il dit regretter d'avoir "impliqué" dans "la précipitation".
Ces derniers sont comme lui jugés pour "recel de vol aggravé". A la barre, ils affirment n'avoir appris qu'après le trajet la réelle nature de l’œuvre. Le propriétaire de l'hôtel, un Italien de 58 ans, est lui aussi poursuivi. Via une interprète, il déclare avoir voulu faire des travaux et avoir alors transporté le "panneau" dans le grenier d'une ferme à une quinzaine de kilomètres, à Sant'Omero.
C'est seulement là qu'il assure avoir vu le "dessin". Mais il soutient ne pas avoir fait le lien avec le Bataclan avant l'intervention des carabiniers italiens venus saisir la porte, le 10 juin 2020. "Je me sens très, très mal et je demande pardon aux victimes et à la France".