Le mardi 7 juin 2022 à 01:45
Sur une porte du Bataclan, l'œuvre de Banksy rendait hommage depuis 2018 aux victimes des attentats du 13-Novembre. Volée en 2019, retrouvée en Italie l'année suivante, elle sera au cœur du procès de huit hommes à partir de mercredi à Paris.
Pendant trois jours, le tribunal doit examiner le rôle que sont soupçonnés d'avoir joué sept Français et un Italien dans le vol et le recel de cette porte métallique ornée d'un pochoir représentant une jeune fille triste, revendiqué par le street-artist mondialement connu.
Le 26 janvier 2019, peu après 4h00 du matin, un fourgon blanc aux plaques dissimulées s'arrête dans le passage Saint-Pierre Amelot (XIe arrondissement de Paris), par lequel de nombreux spectateurs du Bataclan avaient fui l'attentat dans lequel 90 d'entre eux ont été tués le 13 novembre 2015. Trois hommes masqués sortent du véhicule, découpent les gonds avec des disqueuses alimentées par un groupe électrogène. En moins de 10 minutes, ils embarquent l'œuvre, protégée par une vitre en plexiglas.
Les responsables de la salle de spectacle s'indignent : ce "symbole de recueillement et appartenant à tous, riverains, Parisiens, citoyens du monde, nous a été enlevé". Ce vol "minutieusement préparé", selon les mots de la juge d'instruction chargée du dossier, sera finalement élucidé via une information venue d'Isère, transmise aux policiers parisiens en novembre 2019.
Ferme italienne
Trois hommes y sont soupçonnés d'avoir cambriolé un magasin de bricolage, douze jours avant le vol. Parmi les objets dérobés... des disqueuses et des groupes électrogènes.
Leurs téléphones révèlent en outre qu'ils étaient ensemble à Paris la nuit des faits. Les lignes des trentenaires et de leurs proches sont placées sur écoute : dans des conversations, le vol est évoqué ouvertement. Peu à peu, les enquêteurs retracent le parcours de la porte : l'Isère, le Var puis Tortoreto, dans les Abruzzes italiennes. C'est dans une ferme de Sant'Omero, à une quinzaine de kilomètres de là, qu'elle est finalement découverte le 10 juin 2020.
Interpellés, Kevin G., Franck G.A. et Danis G. confessent le vol, mais les deux derniers ne revendiquent qu'un rôle d'exécutant. Celui qui a réceptionné la porte dans le Var, Mehdi Meftah, est soupçonné d'en avoir "commandé" le vol. Cet homme de 41 ans, qui dit avoir gagné 7,5 millions d'euros au loto, a créé la marque de T-shirt de luxe "BL1.D", dont la signature est un véritable lingot d'or 18 carats cousu sur l'encolure.
Lors de ses auditions, il a contesté avoir ordonné le vol et assure avoir été mis "devant le fait accompli", avant de décider "d'éloigner le problème" vers l'Italie. "Regarde ce que je t'ai ramené", lui aurait dit, selon son récit, Kevin G. "T'es fou, qu'est-ce que tu veux que j'en foute de ton truc ?", aurait-il répliqué. Kevin G. a confirmé cette version. Il affirme avoir pensé que son ami, amateur de street-art et fortuné, pourrait la revendre. D'autres protagonistes ont pourtant parlé d'une "commande".
«Symbolique»
Les quatre derniers prévenus, âgés de 31 à 58 ans, sont soupçonnés d'avoir transporté l'œuvre. "C'est un dossier dont on a voulu faire quelque chose de beaucoup plus grand que ça n'est réellement", fait valoir Me Romain Ruiz, avocat de Franck G. A. "La symbolique est ce qu'elle est et personne ne la minimise", a déclaré Me Margaux Durand-Poincloux, avocate de Danis G. "Mais s'agissant de mon client, cela reste un vol aggravé dans le cadre duquel il n'est pas décideur de la cible, ce qui rend la longueur de sa détention provisoire disproportionnée".
Danis G. a été interpellé en mars 2021, près d'un an après ses coprévenus qui, après plusieurs mois de détention provisoire, comparaîtront libres sous contrôle judiciaire.
L'identité réelle de l'artiste britannique Banksy, qui a revendiqué des œuvres à message politique à travers le monde, reste mystérieuse. Ses pièces se vendent aux enchères pour des millions d'euros. Le prix de la porte a été estimé entre 500 000 et un million d'euros - un montant débattu. Sa restitution aux propriétaires de l'immeuble du Bataclan est contestée en cassation par le gestionnaire de la salle de spectacle, repris par la Ville de Paris.