Non-lieu pour un policier de la SDAT accusé d'être un ripoux qui reste suspendu et sans salaire

Un policier de la Sous-direction anti-terroriste (SDAT), âgé de 45 ans, est au centre d'une controverse judiciaire depuis près d'une décennie, suite à des accusations notamment de trafic d'influence passif et de blanchiment d'argent. Malgré un non-lieu prononcé en décembre dernier et une décision favorable du tribunal administratif, ce fonctionnaire reconnu pour son travail reste suspendu et sans salaire depuis des années. Son avocat dénonce "un acharnement judiciaire".
Non-lieu pour un policier de la SDAT accusé d'être un ripoux qui reste suspendu et sans salaire
Illustration. (Jose Hernandez/Camera 51/shutterstock)
Par Stéphane Cazaux
Le lundi 12 février 2024 à 20:36 - MAJ lundi 12 février 2024 à 21:18

C'est une affaire obscure dans laquelle un policier de 45 ans de la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) est poursuivi depuis près de dix ans. Mis en examen pour cinq chefs d'accusation en avril 2018, notamment trafic d'influence passif et blanchiment d'argent, la juge d'instruction en charge du dossier a prononcé un non-lieu à la fin du mois de décembre dernier. Le contrôle judiciaire de ce fonctionnaire a également été levé, indique une source judiciaire, confirmant l'information d'Europe 1.

Ce policier n'est pourtant pas sorti d'affaire. Il est aujourd'hui toujours suspendu, ne perçoit plus son salaire depuis avril 2021 et vit dans des conditions de grande précarité. "Après sa mise en examen, il avait déjà été privé de la moitié de son salaire, et ne touchait ensuite plus que quelques centaines d'euros par mois à partir de 2019", confie une source proche du dossier. Pourtant, ce policier est connu pour avoir permis la localisation de plusieurs terroristes, dont Abdelhamid Abaaoud en 2015, l'un des terroristes du 13-Novembre. Il a également été décoré d'une médaille d'argent pour acte de courage et de dévouement, et a fait l'objet de nombreuses lettres de félicitations par le passé.

Pour retrouver le début de cette affaire, il faut remonter à 2014. A cette époque, le policier est en poste à la brigade des stupéfiants du service départemental de police judiciaire (SDPJ). Il est alors mis en cause car son nom apparaît dans des écoutes téléphoniques. Un dealer affirme lui avoir versé 50 000 euros pour que son nom soit effacé du fichier des personnes recherchées (FPR). Il est également question de cocaïne qui aurait disparu dans des scellés. L'enquête menée par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) est finalement classée sans suite, mais les "bœufs-carottes" relancent le dossier en décembre 2015, au lendemain des attentats du 13-Novembre. Cette fois, le policier - entre temps muté à la SDAT - est soupçonné d'avoir, en octobre 2014, proposé son assistance à un homme interpellé par les douaniers, alors qu'il partait pour le Maroc en possession de 20 000 euros en numéraire. Une mystérieuse intervention en 2010 à l'aéroport d'Orly pour faire éviter des contrôles à un autre homme est aussi évoquée. Une information judiciaire est alors ouverte par le parquet de Bobigny et le policier est mis en examen au terme de sa garde à vue, puis suspendu.

«Il ne perçoit plus le moindre euro depuis bientôt trois ans»

En janvier 2018, deux mois avant cette mise en examen, l'agent s'est blessé lors d'une intervention à Charleville-Mézières (Ardennes). 60 jours d'incapacité totale de travail (ITT) lui ont été attribués et sa blessure en service a été reconnue "imputable au service". "Malgré sa situation, ce policier n'a reçu aucun soutien de l'administration, il ne perçoit plus le moindre euro depuis bientôt trois ans", souligne la même source. De son côté, le policier qui clame son innocence depuis le départ, a demandé sa réintégration. Il a également saisi le tribunal administratif afin de récupérer l'ensemble des mois de salaire manquant. La juridiction lui a donné tort en première instance, mais il a finalement obtenu gain de cause en appel, en mars 2023. "Le ministère de l'Intérieur ne lui a toujours pas versé les salaires manquants, malgré cette décision de justice", poursuit notre source.

Plusieurs sources policières que nous avons interrogées concernant cette affaire évoquent "un règlement de comptes interne sur fond de recrutement d'indics", soulignant le "travail reconnu de tous" du fonctionnaire mis en cause. "Plusieurs de ses collègues ont été décorés de la légion d'honneur après les attentats du 13-Novembre, lui en a été écarté alors même qu'il a eu un rôle central pour appréhender plusieurs terroristes", déplore l'une des sources.

L'avocat du policier dénonce de multiples failles

"Il y a un acharnement judiciaire contre mon client", dénonce l'avocat du policier, Me Pascal Markowicz, à Actu17. "Le parquet souhaitait dépayser le dossier du "trafic d'influence passif" dans une autre juridiction au motif que la juridiction de Bobigny serait incompétente territorialement, alors que huit ans plus tôt, interrogé par la juge d'instruction sur sa compétence, le parquet avait clamé que Bobigny était bien compétente. Finalement, la juge d'instruction a décidé d'ordonner un non-lieu sur cette partie du dossier et le parquet n’a pas interjeté appel. Preuve donc que l’acharnement du parquet ne tient pas sinon il aurait fait appel". Suite à cette mise hors de cause, Me Markowicz estime que "le premier conseil de discipline aurait du être annulé ainsi que les arrêtés de suspension subséquents".

L'avocat dénonce également le fait que le ministère de l'Intérieur "n'a toujours pas réintégré ni payé" le policier, "malgré l'injonction de la cour dans son arrêt". "Un arrêté de révocation aurait été rendu l'été dernier sans que mon client et moi-même n'ayons été convoqués en conseil disciplinaire", s'étonne Me Markowicz. "Un conseil médical restreint doit se tenir le 14 février prochain, après s'être déjà réuni illégalement en octobre 2023, alors que si mon client est révoqué, il n'est par conséquent plus fonctionnaire et ce conseil ne peut se réunir. Au mépris des textes applicables, ce conseil qui se tiendra mercredi veut cette fois m'empêcher d'assister mon client lors de cette séance".

Sollicité, le parquet de Bobigny ne nous a pas répondu. Également sollicitée concernant ce dossier, la direction générale de la police nationale (DGPN), par l'intermédiaire de son service de communication, n'a pas souhaité réagir.