Trois morts par balle à Paris : colère, échauffourées et pleurs de Kurdes

Colère de la communauté kurde dans le Xe arrondissement de Paris, après qu'un homme muni d'une arme de poing a tué trois personnes, en blessant trois autres, ce vendredi midi. Le suspect de 69 ans a été interpellé et placé en garde à vue. Ses motivations restent à éclaircir.
Trois morts par balle à Paris : colère, échauffourées et pleurs de Kurdes
Des manifestants affrontent la police dans le 10e arrondissement de Paris où trois personnes ont été tuées par un tireur le 23 décembre 2022. (AFP)
Par Actu17 avec AFP
Le vendredi 23 décembre 2022 à 18:06

Dans le quartier kurde de Paris, à 100 mètres du lieu des tirs meurtriers vendredi, des membres de la communauté kurde se sont aussitôt rassemblés pour crier leur colère et chagrin. Avec en tête le triple assassinat de kurdes du PKK, il y a neuf ans, dans le même arrondissement. Un groupe d'une dizaine d'amis kurdes arrivent en courant. Vite effondrés sur le trottoir, ils éclatent en pleurs, en cris, aux pieds des policiers.

Peu après la venue du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin dans l'après-midi, qui s'est exprimé aux journalistes, des dizaines de manifestants ont affronté les forces de l'ordre un peu plus d'une heure, qui ont été visées par des jets de projectiles. Les policiers ont riposté par des moyens lacrymogènes. Une dizaine de fonctionnaires ont été blessés selon une source policière.

"Ça recommence, vous ne nous protégez pas. On nous tue !", hurle en pleine rue une jeune réfugiée kurde (qui a refusé d'être identifiée) avant de prendre son visage dans ses mains et d'être sortie de la foule par ses camarades en état de choc. Trois personnes ont été tuées par balles et trois autres blessés peu avant midi, rue d'Enghien, au niveau du centre culturel kurde Ahmet Kaya.

La foule ne sait pas encore que le tireur présumé, interpellé et placé en garde à vue, est un Français de 69 ans, conducteur de train à la retraite, connu pour s'être déjà attaqué avec un sabre à des migrants dans un camp du XIIe arrondissement, selon les premiers éléments de l'enquête. Parmi les dizaines de Kurdes rassemblés, bouleversés, les rumeurs d'attaque "politique" galopent. Des slogans fusent déjà : "extrême droite, assassin !" ou "Erdogan, assassin !", visant le président turc. Et en milieu d'après-midi, le rassemblement a dégénéré en échauffourées avec la police.

Ce vendredi, un frère et une sœur devaient se retrouver dans un petit restaurant kurde du quartier quand ils ont vu la police arriver et boucler la rue du centre culturel kurde. Ils disent avoir compris immédiatement. "Je me suis dit ce n'est pas possible que ça recommence, pas les nôtres", dit la sœur, Jihan Akdogan. "On savait très bien que ça recommencerait", répond le frère, Juan Golan Elibeg, 41 ans. Au milieu des Kurdes de tous âges et de soutiens de l'opposition pro-kurde, ils se prennent dans les bras, tentent de récupérer les premières informations.

Pour l'heure, le parquet national antiterroriste (PNAT) et ses services sont venus sur place mais il n'y a "aucun élément qui privilégierait la nécessité de leur saisine", a expliqué la procureur de la République de Paris. Les motifs racistes des faits "vont évidemment faire partie des investigations", a-t-elle ajouté.

Trois femmes tuées il y a neuf ans

Mais les kurdes présents revivent le traumatisme d'il y a neuf ans : non loin de là, le 9 janvier 2013, Sakine Cansiz, 54 ans, une des fondatrices du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Fidan Dogan, 28 ans, et Leyla Saylemez, 24 ans, avaient été tuées de plusieurs balles dans la tête au siège du Centre d'information du Kurdistan.

"Ça nous renvoie a ce qu'il s'est passé en 2013. Des informations qui nous parviennent, cette personne a eu le temps de charger son arme plusieurs fois, il n'y avait pas de sécurité et s'il y en avait, ils n'ont rien pu faire pour les protéger", dit Jihan Akdogan, 30 ans, qui se présente comme "interprète" et "patriote kurde". "Une réunion de femmes était prévue dans l'après-midi. Il y aurait pu y avoir encore plus de victimes", ajoute la jeune femme.

Alors les esprits s'échauffent. Une réfugiée turque d'opposition, qui se présente comme "Julie" refusant de donner son nom de famille, se dit persuadée que "c'est une attaque politique" et que "le centre culturel était directement visé".

L'unique suspect du triple assassinat de 2013, le Turc Omer Güney, est mort d'un cancer en décembre 2016, à la veille de son procès devant la cour d'assises spéciale de Paris. Mais les parties civiles ont obtenu en 2019 que soient relancées des investigations pour examiner l'implication potentielle des services de renseignement turcs. Les deux juges d'instruction chargés de cette information judiciaire ont récemment reçu les parties civiles pour faire un point sur l'avancée des investigations, a indiqué à l'AFP une source proche du dossier, précisant qu'il restait des actes d'enquête et des vérifications à réaliser.