Le samedi 27 août 2022 à 12:02
Différend familial ? Règlement de comptes ? Affaire d'espionnage industriel ? Le dossier ultra-médiatique connu sous le nom de "Tuerie de Chevaline" en France ("Alps murders" de l'autre côté de la Manche) reste une énigme, après des milliers d'heures d'enquête et des centaines d'auditions. Les enquêteurs ont fait "tout ce qu'il était humainement possible de faire, mais tant que l'ADN ne mène nulle part et qu'il n'y a aucun témoin visuel, c'est le crime parfait", constate une source proche du dossier.
Le 5 septembre 2012, vers 15h30, un cycliste britannique, Brett Martin, aperçoit sur la route forestière de la Combe d'Ire un vélo de course couché à terre, une BMW, moteur en marche, et une petite fille en sang, qui titube puis s'effondre. Pensant d'abord à un accident de la route, il voit ensuite dans la voiture "beaucoup de sang et des têtes trouées par des impacts de balles".
L'enquête montrera que Saad al-Hilli, un ingénieur de 50 ans, sa femme Iqbal, 47 ans, sa belle-mère Suhaila al-Allaf, 74 ans, une suédoise d'origine irakienne, viennent d'être abattus à bout portant, avec Sylvain Mollier, un ouvrier de la région de 45 ans en ballade sur la route.
Seules ont survécu les deux fillettes du couple al-Hilli, alors âgées de quatre et sept ans. Zainab, l'aînée, a été blessée à l'épaule par une balle, assommée et laissée pour morte. Zeena, blottie aux pieds de sa mère à l'arrière de la voiture, n'a rien vu.
Un «méchant» aguerri
Dix ans plus tard, le "méchant" décrit par la petite Zainab à sa sortie d'hôpital n'a pas été identifié et son mobile reste mystérieux. On ne sait pas s'il a agi seul.
Décrit par les enquêteurs comme un homme "aguerri", "très expérimenté", ou comme un "tueur à gages low-cost venu des Balkans", le tueur a tiré 21 fois en quelques minutes, 17 balles ont atteint leur cible. L'arme, un Luger P06 de calibre 7,65 parabellum, un modèle ancien utilisé dans l'armée suisse, n'a jamais été retrouvée.
Symptomatiquement, le dossier de 90 tomes est en attente de transfert au judiciaire de Nanterre dédié "aux crimes en série et non élucidés". Manque encore l'aval du juge d'instruction, selon le parquet d'Annecy.
De nombreuses pistes
En dix ans, magistrats et gendarmes se sont succédé et les effectifs assignés à l'enquête ont fondu, passant d'une centaine les premiers mois à trois temps plein en 2022.
Ce massacre d'une "sauvagerie inouïe" a généré une enquête "particulièrement complexe", comme l'avait dit le procureur de la République de l'époque, Éric Maillaud. En février dernier, la procureure Line Bonnet, la troisième sur l'affaire, se disait toujours persuadée des chances d'aboutir "grâce aux preuves scientifiques", même si les différentes pistes ressemblent à des impasses.
Zaïd al-Hilli, le frère aîné de Saad, a été rapidement soupçonné en raison d'un différend sur l'héritage paternel portant sur trois à cinq millions d'euros en biens et immeubles. Mais il a un alibi. La thèse de l'espionnage industriel a été explorée, Saad travaillant pour une entreprise anglaise spécialisée dans les satellites civils (météo, surveillance des cultures). Sans résultat.
La famille al-Hilli a fui l'Irak de Saddam Hussein dans les années 70, en abandonnant ses biens à Bagdad. Ces racines dans un pays depuis plongé dans une guerre civile sanglante ont soulevé des questions, sans réponse à ce jour.
Les hypothèses d'un tueur isolé agissant de son propre chef ou d'un tireur fou qui se serait posté sur la route isolée ont également été envisagées. Et les recherches menées autour d'un mystérieux motard aperçu par des témoins près du lieu de la fusillade n'ont rien donné. Identifié après des mois de silence, cet entrepreneur de la région lyonnaise sans casier judiciaire affirme n'avoir rien vu et ne se souvenir de rien.
La dernière garde à vue, en janvier dernier 2022, a permis des "vérifications", les investigations ont ensuite continué "pour identifier le ou les auteurs du crime", selon le parquet.