«J'étouffe» : les policiers n'ont pas entendu les paroles de Cédric Chouviat expliquent leurs avocats

L'affaire concernant la mort de Cédric Chouviat a pris un nouveau tournant ces dernières 48 heures. Les quatre policiers mis en cause ont été entendus à l'IGPN la semaine dernière et pourraient être convoqués prochainement par les juges d'instruction en charge du dossier.
«J'étouffe» : les policiers n'ont pas entendu les paroles de Cédric Chouviat expliquent leurs avocats
Cédric Chouviat avait été interpellé à Paris le 3 janvier 2020 avant de décéder 48 heures plus tard. (capture écran vidéo/DR)
Par Actu17
Le mercredi 24 juin 2020 à 12:13

Cédric Chouviat, 42 ans, est décédé le 5 janvier dernier à l'hôpital Georges Pompidou à Paris (XVe), deux jours après son interpellation par la police. Le père de famille se trouvait à scooter lorsqu'une patrouille de police a expliqué l’avoir aperçu avec son téléphone à la main. Les fonctionnaires ont décidé de procéder à son contrôle, après avoir averti le contrevenant une première fois.

Les forces de l’ordre ont expliqué avoir interpellé l’homme de 42 ans suite à des insultes répétées de sa part. Le quadragénaire a ensuite été conduit à l’hôpital dans un état critique, où il est décédé.

"J'étouffe"

Mediapart et Le Monde ont révélé ce lundi que le quadragénaire avait « crié à sept reprises 'j'étouffe' » alors qu'il était au sol en train d'être maîtrisé par les policiers, avant de perdre connaissance. « Les premiers éléments » de l’autopsie du père de famille ont montré une « manifestation asphyxique avec une fracture du larynx » a indiqué le parquet dans un communiqué, le 7 janvier, annonçant dans le même temps l'ouverture d'une information judiciaire pour « homicide involontaire ».

Cédric Chouviat était en train de filmer les policiers avec son téléphone lorsqu'il a été amené au sol pour être interpellé. C'est à ce moment-là que les enquêteurs de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sont parvenus à entendre qu'il avait répété "J'étouffe" à sept reprises au total, après avoir dit "Arrête", "Je m'arrête". Le micro sur son casque a continué d'enregistrer, alors qu'il était en train d'être maîtrisé.

L'ensemble des vidéos de l'interpellation du quadragénaire dont trois vidéos tournées par l'une des policières impliquées, durent au total douze minutes. Elles ont été versées au dossier.

Selon les informations de Mediapart et du Monde, le rapport de l'IGPN mentionne que Cédric Chouviat « provoque les policiers en les filmant avec insistance durant tout le contrôle ». « J’ai le droit de filmer » a-t-il notamment déclaré. « C’est beau de vous mettre en spectacle », lui a répondu un policier. « Ne me touchez pas »« Vous, ne me poussez pas, vous n’avez pas le droit de me pousser comme ça, Monsieur », rétorque M. Chouviat.

Le contrôle semble prendre fin à trois reprises relate Le Monde mais un échange relance à chaque fois la situation. Notamment lorsque l'un des policiers demande au livreur de nettoyer sa plaque d'immatriculation. Ce dernier réclame alors un "s'il vous plaît". Le fonctionnaire poursuit : "Ouais et alors vous croyez que je vais me mettre à quatre pattes je vais vous sucer la bite aussi". S'en suivent des bruits qui évoquent un contact physique puis la situation dégénère.

Laissés libres à l'issue de leur garde à vue

Après 11 minutes, M. Chouviat lâche un "guignol" qui entraine son interpellation pour outrage. Les policiers avaient déclaré dans leurs différents rapports que le scootériste avait lâché : "Vous n’avez que ça à faire, vous kiffez gratter les gens. Vous êtes des clowns, bande de guignols. Tu n’es rien sans ton uniforme, si tu ne l’avais pas, tu passerais un sale quart d’heure".

Les quatre policiers ont été convoqués et entendus à l'IGPN ce mercredi 17 juin, dans le cadre d'une garde à vue. Ils ont été laissés libres après de longues heures d'audition et doivent être convoqués prochainement par les juges d'instruction.

"La justice est rendue dans le cabinet des juges et dans les tribunaux, elle n’est pas rendue sur la place publique"

Les deux avocats des quatre policiers ont réagi suite à ces révélations. "Mes clients et moi-même sommes outrés de la publication par la presse de procès-verbaux tronqués, qui sont normalement couverts par le secret de l’instruction", nous explique Maître Laurent-Franck Lienard, l'avocat de deux des policiers impliqués.

"Ça ne participe pas à une justice sereine, alors même que les personnes ne sont pas encore mises en examen. La justice est rendue dans le cabinet des juges et dans les tribunaux, elle n’est pas rendue sur la place publique", rappelle-t-il. "Ou alors c’est dangereux et on glisse doucement vers l’anarchie, ce que personne ne peut souhaiter".

L'avocat des deux fonctionnaires est également revenu sur le fait que Cédric Chouviat avait dit "J’étouffe" à plusieurs reprises lors de son interpellation. "Ces mots ont été prononcés dans le micro qui était collé à son casque, près de sa bouche", souligne Me Lienard. "Ils n’ont pas été entendus par les policiers dans la dynamique de l’interpellation : c’est-à-dire le menottage et la lutte pour obtenir ses bras, car il ne voulait pas les donner, ainsi que l’environnement. Des voitures passaient juste à côté, ils étaient sur la voie de circulation. La dynamique de la scène ajoutée à l’environnement ont fait qu’ils n’ont pas entendu ces mots", insiste l'avocat.

Le policier "conteste" avoir réalisé une clé "d’étranglement"

Maître Thibault de Montbrial s'est quant à lui exprimé auprès de nos confrères du Parisien ce mardi. Les policiers "sont effondrés par ce qui s'est passé", ils "réitèrent les condoléances qu'ils avaient déjà exprimées par ma voix en janvier", a-t-il d'abord précisé.

Au sujet des paroles répétées de Cédric Chouviat lors de son interpellation, l'avocat explique qu'« ils ont tous exprimé leur grande surprise et leur consternation absolue lorsqu'ils ont entendu la voix » du quadragénaire sur cet enregistrement, au cours de leurs auditions à l'IGPN le 17 juin dernier. "Ces propos ont manifestement été enregistrés et amplifiés par un micro-casque, situé tout près de la bouche de M. Chouviat. Il n'est donc pas anormal que les policiers ne les aient pas entendus sur le moment dans l'action", expose Me de Montbrial qui rappelle que les juges n'ont pas souhaité déférer les policiers, "cela signifie que leurs déclarations ont été considérées comme sincères".

"L'interpellation se déroule sur la voie publique, à 50 cm du passage des voitures", rappelle-il également. "Il y a donc un bruit de fond important. S'ils avaient entendu ces mots, ils auraient immédiatement arrêté leur intervention".

Concernant la clef dite "d'étranglement", l'avocat précise que son client "conteste" en avoir fait usage. "Il utilise en fait la technique du contrôle de cou, réalisé avec le dos de sa main appliqué sur la joue, côté opposé. Une lutte s'engage, il [Cédric Chouviat] pèse 30kg de plus que le policier et ils finissent par tomber tous les deux à la renverse sur le dos", détaille-t-il, ajoutant qu'« à aucun moment, le policier n'a l'intention ni l'impression d'exercer une pression sur le cou de Cédric Chouviat ».

"Il n'est pas du tout impossible qu'un choc lié à la chute ou au fait que M. Chouviat portait un casque à ce moment-là soit à l'origine de cette fracture" du larynx, confirmée lors de l'autopsie, a aussi rappelé Me de Montbrial.

"On ne comprend toujours pas pourquoi les quatre policiers impliqués dans la mort de mon père n’ont pas été suspendus"

La famille de Cédric Chouviat et leurs avocats ont tenu une conférence de presse ce mardi matin. « On ne comprend pas pourquoi la clé d'étranglement n'a pas été interdite », a déclaré Sophia Chouviat, la fille de la victime, en s'adressant "directement à Emmanuel Macron". "Des dizaines de personnes [en] sont mortes. C'est intolérable", a ajouté Maître Arié Alimi, l'un des avocats de la famille.

"On ne comprend toujours pas pourquoi les quatre policiers impliqués dans la mort de mon père n’ont pas été suspendus", a aussi lancé Sophia Chouviat.

"Ces pressions, exercées également sur la justice lorsqu’elle enquête, sont, on peut le dire, lamentables", a poursuivi Me Alimi. "Il est plus que temps que ce type de comportement change, de même que les réflexes récurrents de mensonge de la part de l’administration. Dans ce dossier, la préfecture de police a menti dès les premières heures, en expliquant que Cédric Chouviat avait insulté les agents, et qu’il était menaçant. C’est faux", a-t-il ajouté.