Professeur décapité à Conflans : un attentat prémédité et un assaillant inconnu des services antiterroristes

L'intervention des forces de l'ordre s'est déroulée en quelques minutes. L'assaillant âgé de 18 ans venait de prendre la fuite après avoir tué Samuel Paty en pleine rue. Il a été abattu à Éragny-sur-Oise alors qu'il refusait de lâcher son arme et d'obtempérer. Une scène qui a été filmée. L'enquête comporte encore des zones d'ombre.
Professeur décapité à Conflans : un attentat prémédité et un assaillant inconnu des services antiterroristes
Des policiers implantés sur le périmètre de sécurité ce vendredi soir à Conflans-Sainte-Honorine. (image Clément Lanot)
Par Actu17
Le samedi 17 octobre 2020 à 14:25 - MAJ samedi 17 octobre 2020 à 22:40

La France est une nouvelle fois confrontée à un attentat terroriste, trois semaines jour pour jour après l'attaque à la feuille de boucher devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, à Paris (XIe). Cette fois, un professeur a été décapité en pleine rue à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), non loin du collège du Bois d’Aulne où il enseignait depuis plusieurs années.

Le parquet national antiterroriste (PNAT) s'est rapidement saisi de l'enquête, dès qu'il a eu connaissance des premiers éléments du dossier. L'attaque s'est déroulée peu avant 17 heures ce vendredi. Samuel Paty a été attaqué en pleine rue et décapité par l'assaillant. C'est un équipage de la police municipale de Conflans-Sainte-Honorine qui a découvert cet atroce scène de crime puis trouvé le corps du défunt, dont la tête était à quelques mètres. Le terroriste se trouvait non loin et a menacé les fonctionnaires avec ce qui était d'apparence, une arme à feu. L'alerte a été donnée. L'assaillant a pris la fuite à pied.

"Au sol !", "jette ton arme !"

Un équipage de la Brigade anticriminalité (BAC) de Conflans l'a repéré quelques minutes plus tard, à moins d'un kilomètres du lieu de l'attaque, sur l’avenue Roger Salengro à Eragny, commune voisine du Val-d'Oise. D'autres policiers, en tenue d'uniforme, sont arrivés à leur tour. Une vidéo amateur montre l'intervention des forces de l'ordre. La séquence qui dure une minute, est filmée par un riverain. Les fonctionnaires ordonnent à de multiples reprises à l'assaillant de lâcher son arme, tout en le mettant en joue afin de pouvoir réagir rapidement en cas de danger. "Au sol !", "jette ton arme !", "allonge-toi !", lui ordonnent-ils. Des injonctions claires et répétées, auxquelles l'assaillant n'obéit pas.

"Il tire", hurle un policier. "C'est des billes les gars", prévient son collègue. Le terroriste était muni d'une arme de type Airsoft et avait un couteau. Il a tiré à cinq reprises sur les policiers a précisé le procureur antiterroriste lors de sa conférence de presse. Devant la situation, les forces de l'ordre gardent également en tête que l'homme qu'ils ont face à eux est potentiellement munis d'explosifs - comme l'étaient les terroristes du Bataclan notamment - ou même d'une autre arme. La priorité est donc de le tenir à distance et l'obliger à se coucher au sol. L'assaillant, agressif, n'obtempère pas et avance couteau en main vers les policiers en hurlant "Allah Akbar". "Trois des policiers ont riposté, entraînant la chute de l'assaillant. Alors qu'il tentait de se relever et de donner des coups de couteau, il a été neutralisé par les forces de l'ordre", a détaillé le magistrat.

Les policiers ont fait feu à dix reprises au total. L'agresseur de 18 ans, d'origine tchétchène et né en Russie, a été déclaré mort peu après. Le couteau d'environ 35 cm qu'il a utilisé pour tuer l'enseignant, avait été abandonné non loin de la scène de crime.

L'homme n'était pas fiché S et n'était pas inscrit au FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste). Il n'était donc pas dans le radar des services antiterroristes. Aboulakh A. était toutefois déjà connu des services de police, comme nous l'avons révélé, pour des faits de droit commun.

Un compte Twitter qui avait été signalé

Après avoir tué le professeur et avant d'être rattrapé par les forces de l'ordre, l'assaillant a pris la tête du défunt en photo et a diffusé l'image sur son compte Twitter "@Tchetchene_270", accompagné d'un message de revendication. Il évoque d'abord Allah, puis écrit : "De Abdullah, le serviteur d'Allah, à Macron, le dirigeant des infidèles, j'ai exécuté un de tes chiens de l'enfer qui a osé rabaisser Muhammad, calme ses semblables avant qu'on ne vous inflige un dur châtiment…". Son compte a été fermé rapidement après. L'agresseur qui était domicilié à Évreux (Eure) avait choisi ce pseudonyme en ajoutant "270", qui correspond très vraisemblablement au code postal du département qui commence par 27.

Selon nos informations, ce compte Twitter avait été ouvert en juin dernier et des propos violents avaient été diffusés dessus durant l'été. Il était aussi inscrit en description "Pas de femme en mention ni dm (message privée, ndlr)".Au moins un signalement avait été transmis à la plateforme Pharos. Aboulakh A. était-il le seul à utiliser ce compte ? Les enquêteurs vont devoir le déterminer avec l'aide des informations transmises par le réseau social. Le procureur de la République antiterroriste a par ailleurs confirmé lors de sa conférence de presse que le message de revendication de l'assaillant, avait été retrouvé dans son téléphone, écrit dans le bloc-note de l'appareil, à 12h17. Il avait donc bien été préparé en amont.

D'autres questions restent en suspens à ce stade, à savoir notamment si l'assaillant a effectué des repérages les jours précédents. Il vivait à près de 100 km de Conflans-Sainte-Honorine. Les policiers vont devoir également déterminer comment le terroriste a identifié sa victime et obtenu son emploi du temps, et depuis quand il était radicalisé.

Le professeur avait déposé plainte en début de semaine

La thèse de l'acte terroriste prémédité, commis en représailles, ne fait plus aucun doute pour les enquêteurs. Comme nous l'avons révélé vendredi soir, l'enseignant visé par cette attaque avait présenté une caricature de Mahomet durant l'un de ses cours. Le 5 octobre dernier, il avait bien parlé de la liberté d'expression à ses élèves de 4ème. Il avait proposé aux adolescents de confession musulmane de sortir s'ils le souhaitaient, avant de montrer la caricature du prophète Mahomet.

Plus tard, le 8 octobre, le père d'une élève du collège a déposé plainte contre Samuel Paty selon BFMTV. L'enseignant a été entendu le 12 octobre et a découvert que le plaignant était le père d'une élève qui n'était pas présente dans la classe lors du cours. Le professeur a confirmé qu'il avait donné un cours durant lequel les caricatures de Mahomet avaient été évoquées, avec thèse et antithèse. Le dessin qu'il a montré, représenté le prophète accroupi avec une étoile dessinée sur ses fesses ainsi que l'inscription "une étoile est née" précisent nos confrères.

Samuel Paty était âgé de 47 ans.

Entre temps, des accusations avaient été diffusées sur les réseaux sociaux, notamment dans une vidéo publiée sur Youtube. On y voit un parent d'élève s'exprimer au sujet du cours en question, ainsi qu'une jeune fille se présentant comme une élève de Samuel Paty. « Moi j’ai refusé de sortir du cours », raconte-t-elle. « Il a montré la photo du prophète Mahomet tout nu, sans vêtements, il nous l’a montré comme ça », poursuit la jeune fille qui affirme avoir été « choquée »« Du coup dans la classe on a tous été choqués, même ceux qui n’étaient pas musulmans », dit-elle. La vidéo dans laquelle le nom de Samuel Paty et l'adresse du collège étaient donnés, a été retirée la nuit dernière.

Les premiers éléments ont montré que la jeune fille n'était donc pas présente durant ce cours. Elle aurait été expulsée provisoirement de l'établissement suite à des problèmes disciplinaires. D'autres internautes se présentant comme des parents d'élèves avaient aussi ouvertement critiqué l'enseignant sur Facebook ces derniers jours.

Face à cette situation, Samuel Paty avait décidé de déposer plainte à son tour pour "diffamation" et "dénonciation calomnieuse", quatre jours avant d'être tué en pleine rue. "Il se savait menacé de mort sur les réseaux sociaux" affirme un membre d’une association de parents d’élève du collège, interrogé par Le Parisien.

"Moi je suis musulmane et j'étais restée, je n'ai pas trouvé ça choquant"

C'était "quelqu'un de très discret, bienveillant, apprécié des élèves et de ses collègues", a expliqué une mère de famille, au quotidien francilien. "Il adorait son travail et respectait ses élèves. Demander, à ceux qui pourraient être choqués, de quitter la salle montre un respect extrême des croyances des autres collégiens. Que pouvait-il faire de plus ?", se demande-t-elle.

"Il avait déjà montré les caricatures de Charlie Hebdo quand j'étais en classe", a déclaré Virginie, 15 ans. "À l'époque il avait déjà demandé aux élèves qui étaient musulmans de sortir s'ils n'étaient pas à l'aise avec ça, assure-t-elle. Moi je suis musulmane et j'étais restée, je n'ai pas trouvé ça choquant", a-t-elle confié à nos confrères.

Les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et de la Sous-direction antiterroriste (SDAT) interrogent actuellement neuf personnes qui sont en garde à vue : les parents de l’assaillant, son grand-père et son petit frère de 17 ans qui ont été interpellés à Évreux, ainsi que le parent d'élève qui s'était plaint du professeur dans cette vidéo précédemment évoquée. Abdelhakim Sefraoui, fondateur du collectif pro-palestinien Cheikh Yassine et membre du "conseil des imams de France", fait également partie des personnes placées en garde à vue selon Le Parisien. L'homme qui est connu des services de renseignement, fiché S et inscrit au FSPRT, s'était rendu chez la principale du collège avec le père de famille, pour protester contre le fait que le professeur Paty avait présenté une caricature du prophète Mahomet durant un cours.

Depuis les attentats djihadistes de 2015, 259 personnes ont été tuées en France dans des attaques terroristes. Un conseil de défense se tiendra à l’Élysée d'ici à dimanche soir selon BFMTV. Il sera consacré à l'attaque terroriste qui a coûté la vie à Samuel Paty.