Le jeudi 6 janvier 2022 à 11:44 - MAJ vendredi 7 janvier 2022 à 13:25
« On n'aurait jamais dû agir comme ça »: un capitaine de CRS à l'intérieur d'un Burger King théâtre de coups sur des manifestants à Paris pendant l'acte 3 des « Gilets jaunes », a été mis en examen en septembre, après sept autres. Jérôme P., âgé de 46 ans au moment des faits, a été mis en examen le 17 septembre pour des « violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique » et laissé libre sans contrôle judiciaire.
Outre cet épisode, érigé en symbole des violences policières, le 1er décembre 2018 a été l'une des manifestations les plus mouvementées des "Gilets jaunes" à Paris avec des images de chaos, le saccage de l'Arc de Triomphe, le vol d'un fusil d'assaut dans une voiture de police, mais aussi l'éborgnement d'un manifestant par un tir de lanceur de balles de défense (LBD) des forces de l'ordre. Au Puy-en-Velay, la préfecture avait été incendiée.
"On reculait parce qu'on allait se faire tuer"
Dans son interrogatoire, dont l'AFP a obtenu des éléments, ce capitaine de police à la Compagnie républicaine de sécurité 43 (CRS 43) décrit une mission interminable et anxiogène, débutée à 5H30, avec un premier "théâtre d'affrontement" dès 7H30, l'Arc de Triomphe, déjà enveloppé de gaz lacrymogènes. S'ensuit "une succession d'agressions, de moments où on a dû reculer. On reculait parce qu'on allait se faire tuer". "C'était incroyable", poursuit-il, racontant le pavé qu'il reçoit dans le ventre mais dont le protège son gilet pare-balles, ses troupes devenues des "zombies" et des "éclopés", certains en larmes, à force de fatigue et de "déchaînement de violence". Sa journée s'achèvera à 1H30 du matin.
La juge d'instruction, elle, est saisie des violences au sein d'un Burger King à un jet de pierre de l'Arc de Triomphe, dans les beaux quartiers, documentées par des vidéos amateurs et de journalistes.
Aucun coup "justifié"
Devant l'IGPN en avril 2019, Jérôme P. s'était dit incapable de reconnaître quiconque sur les vidéos des évènements. L'enquête patine un temps. Ce n'était "pas un manque de coopération", jure-t-il lors de son interrogatoire en septembre. Mais depuis, l'identification de la plupart des protagonistes des violences a avancé : quatre CRS ont été mis en examen en juin 2020, trois autres en mai dernier.
Jérôme P., qui ne s'était initialement pas reconnu sur les vidéos, a fini par assumer devant la juge au moins huit coups de tonfa et un coup de pied à un manifestant. Les images ont reçu "un vrai traitement" par les enquêteurs pour identifier les auteurs des violences, explique-t-il. Selon l'IGPN, au moins sept personnes, parmi lesquelles des manifestants et un journaliste, ont été victimes de coups.
"Telles que je les vois maintenant sur la vidéo, je ne trouve [les personnes dans le restaurant] absolument pas hostiles effectivement", concède Jérôme P. "A froid, je reconnais, on n'aurait jamais dû agir comme ça", lâche-t-il. Au-delà de son état d'épuisement, le capitaine de CRS met en cause "la salle de commandement", pointant à plusieurs reprises "une mauvaise gestion stratégique de l'ordre public" et assénant : "On aurait dû à un moment donné refuser les ordres".
Alors qu'un "pillage" éventuel est évoqué sur les ondes policières, qui lui ordonne d'entrer dans le Burger King ? Le commandant de la CRS 43, assure-t-il. Avec pour mission d'« évacuer le restaurant le plus rapidement possible ».
"La mise en examen n'est pas une preuve de culpabilité"
Dans un rapport d'enquête de juin 2020, l'IGPN estimait que les manifestants "s'étaient réfugiés à l'intérieur de l'établissement en raison de la présence massive de gaz lacrymogènes sur l'avenue". L'enquête a exclu tout pillage. "Au vu des positions des victimes, allongées ou assises" et de leur "attitude" sans "danger ou menace", "sur la totalité des coups de matraque ou de pied assénés, aucun ne semblait justifié, nécessaire ou proportionné", tranchait la police des polices.
"La mise en examen n'est pas une preuve de culpabilité, c'est le début d'une procédure qui suit son cours, ça démontre que les dossiers de "Gilets jaunes" ne sont pas oubliés, sont traités au quotidien tant par l'IGPN que par l'institution judiciaire. Tout cela devrait déboucher sur une vérité juridique", a réagi l'avocat de ce CRS et d'autres mis en cause, Laurent-Franck Liénard.