Le samedi 21 décembre 2024 à 00:38 - MAJ samedi 21 décembre 2024 à 00:49
La cour d'assises spéciale de Paris a rendu son verdict, ce vendredi 20 décembre, dans le procès de l'assassinat de Samuel Paty, enseignant d'histoire-géographie tué le 16 octobre 2020 près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Huit accusés ont été condamnés à des peines allant de 1 an de prison à 16 ans de réclusion criminelle pour leur implication, à des degrés divers, dans cet attentat perpétré par Abdoullakh Anzorov, un jeune islamiste radical tchétchène abattu par la police peu après les faits.
Naïm Boudaoud, 22 ans, et Azim Epsirkhanov, 23 ans, amis proches du tueur, ont été déclarés coupables de complicité d'assassinat terroriste. Ils ont été condamnés à 16 ans de réclusion criminelle. Selon la cour, "ils ont préparé les conditions d'un attentat terroriste. Ils savaient que les armes recherchées allaient servir à atteindre à l'intégrité physique d'un tiers", tout en soulignant qu’"il n'est pas démontré qu'ils étaient avisés de l'intention" d'Abdoullakh Anzorov "de donner la mort à Samuel Paty", même s'ils "avaient conscience de la radicalité" de ce dernier.
Les faits reprochés à Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov se sont déroulés la veille et le jour de l'attentat. Le 15 octobre 2020, ils ont accompagné Abdoullakh Anzorov à Rouen (Seine-Maritime) pour acheter un couteau qui a été retrouvé sur la scène de crime, bien que ce ne soit pas l'arme utilisée pour la décapitation. À l'audience, les deux hommes ont soutenu que l'assassin leur avait assuré que le couteau était "un cadeau" destiné à son grand-père. Le lendemain, le 16 octobre, Naïm Boudaoud, seul des trois sachant conduire, a emmené Anzorov dans un magasin de pistolets airsoft avant de le déposer près du collège de Conflans-Sainte-Honorine.
Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui reconnus coupables d'association de malfaiteurs terroriste
Brahim Chnina, père de la collégienne ayant menti sur le comportement de Samuel Paty, et Abdelhakim Sefrioui, prédicateur islamiste, ont été reconnus coupables d'association de malfaiteurs terroriste. La cour leur a reproché d'avoir joué un rôle déterminant dans la campagne de haine en ligne visant l'enseignant. Brahim Chnina a été condamné à 13 ans de réclusion criminelle. "Vous ne pouviez méconnaître le risque certain d'atteinte à l'intégrité physique que vous faisiez courir à Samuel Paty", a déclaré le président de la cour, Franck Zientara, à son intention. Affaibli par des problèmes de santé, l'accusé de 52 ans a accueilli la décision avec un visage impassible.
De son côté, Abdelhakim Sefrioui a écopé de 15 ans de réclusion criminelle. La cour a mis en avant son "absence d'apaisement" et a souligné qu'il avait "soutenu et encouragé les démarches" de Brahim Chnina, "participant activement à une campagne de haine avec une vidéo". À l'énoncé de la peine, le président Franck Zientara lui a demandé s'il avait bien compris sa condamnation. Le prédicateur a répondu : "J'ai compris que vous avez fait de la politique et pas de courage". Alors que le magistrat lui intimait de ne pas faire de "commentaire", il a ajouté : "Je fais appel maintenant". Une décision confirmée par ses avocats à la sortie de l’audience.
Des peines allant de 1 à 5 ans pour les quatre autres accusés liés à la «jihadosphère»
Concernant les quatre autres accusés, les sanctions ont été variées. Ismaïl Gamaev a été condamné à 5 ans d'emprisonnement, dont 30 mois avec sursis, et Louqmane Ingar à 3 ans de prison, dont 2 ans avec sursis, pour association de malfaiteurs terroriste. Priscilla Mangel a écopé de 3 ans de prison avec sursis probatoire pour provocation directe au terrorisme. Enfin, Yusuf Cinar a été condamné à 1 an de prison pour apologie du terrorisme. Les quatre accusés étaient en lien avec Abdoullakh Anzorov via des réseaux sociaux, notamment un groupe Snapchat associé à la "jihadosphère".
Le procès, qui s'était ouvert le 4 novembre au palais de justice de Paris, s’est déroulé dans une ambiance lourde. Les réquisitions du parquet national antiterroriste (PNAT), demandant des peines allant de 18 mois d’emprisonnement avec sursis à 16 ans de réclusion criminelle, avaient suscité l’indignation des parties civiles, qui les jugeaient "trop clémentes". La cour a toutefois justifié la sévérité des peines prononcées par la gravité des faits. "La cour s'est attachée à prendre en compte la gravité exceptionnelle des faits, s'agissant de l'assassinat d'un enseignant à la sortie d'un collège par décapitation au moyen d'une arme blanche", a déclaré le président Franck Zientara, en soulignant que "ces faits, d'une barbarie absolue, constituent une atteinte irrémédiable aux valeurs de la République et à la laïcité, au sanctuaire de l'école, causant un émoi considérable dans le pays et plus particulièrement au sein du corps enseignant, et un traumatisme définitif et durable notamment pour son fils de 5 ans".
Ces mots ont pris un écho particulier, car le fils de Samuel Paty, aujourd'hui âgé de 9 ans, était présent dans la salle d'audience, entouré de sa famille sur les bancs des parties civiles. "Il a compris que justice a été rendue pour son père", a déclaré son avocat, Francis Szpiner, qui a salué "un verdict équilibré", avec des peines "à la hauteur du défi lancé à la République". Gaëlle Paty, l'une des sœurs du professeur, a confié être "émue et soulagée" à l'issue du procès. "D'entendre ce mot 'coupables', c'est ça dont j'avais besoin", a-t-elle déclaré. "Forcément on attend toujours plus d'un procès, mais ça va être un point d'appui pour qu'on continue d'œuvrer pour que l'école fasse la promotion de nos valeurs de vivre-ensemble", a-t-elle ajouté.