Le lundi 4 avril 2022 à 21:03
"Une cupidité insatiable" : le procureur a requis la peine maximale, 10 ans de prison, lundi contre Lionel Guedj, et cinq ans, dont un avec sursis, contre son père Carnot, deux dentistes jugés pour avoir mutilé des centaines de patients à Marseille.
Le ministère public a requis le mandat de dépôt contre les deux prévenus et demandé que leur soit également infligée une amende de 375 000 euros pour Lionel Guedj, 41 ans, ainsi que la saisie de son immeuble, dans lequel il réside, et une amende de 150 000 euros pour Carnot, son père, âgé de 70 ans. Depuis six semaines, les deux dentistes sont jugés devant le tribunal correctionnel de Marseille pour s'être enrichis sur le dos de l'Assurance maladie et des mutuelles en réalisant un maximum de prothèses dentaires sur des patients qui n'en avaient pas besoin, après leur avoir dévitalisé des dents saines, mutilant certains d'entre eux à vie.
Un procès "hors-norme au vu du nombre de victimes" (NDLR : 322 se sont constituées parties-civiles) et de la "sordidité" des faits "aux airs de cour d'assises", a relevé le ministère public. Abcès, kystes, douleurs insupportables, bouche noire, mauvaise haleine, prothèses qui ne tiennent pas : les victimes ont raconté à la barre les conséquences des opérations pratiquées à la chaîne par ce cabinet dentaire qui s'était installé en 2005 dans un quartier pauvre du nord de la deuxième ville de France.
Face à ces témoignages, le ministère public a dit avoir vu des prévenus "froids, inaccessibles, exempts de tout remord", et ne pas avoir réussi "à percevoir une empathie sincère" : "Jusqu'aux dernières plaidoiries des parties-civiles, ils n'auront de cesse de lever les yeux au ciel", a pointé dans son réquisitoire le procureur Michel Sastre, à l'avant dernier jour du procès. Il a également dénoncé "l'insolence" de prévenus qui n'ont cessé, au fil des audiences, de "minimiser leur responsabilité et l'ampleur du désastre". Et le magistrat de rappeler la "honte" de certaines victimes, "leur culpabilité" de s'être fait avoir, l'une d'elle expliquant même avoir eu le sentiment "d'être violée".
"L'argent, c'est le carburant"
"Vous devez appréhender un système mis en place, pensé, planifié. Ils veulent faire croire qu'ils ont fait des choix thérapeutiques", mais c'est bien une organisation "visant un faire un maximum d'argent dans un minimum de temps, avec une cupidité insatiable", à laquelle ils se sont adonnés, a insisté M. Sastre.
Sa consœur, Marion Chabot, a enfoncé le clou en évoquant "la politique industrielle" mise en place par les Guedj fils et père, et leur "plan méthodique, cynique et perfide". "Il fallait agir par surprise, le plus vite possible, rendre le patient dépendant du plan de traitement. La proie est captée et obligée d'aller jusqu'au bout", a-t-elle démontré au cours de son réquisitoire.
"On ne mutile pas 3900 dents par erreur : la répétition est la preuve de l'intention", a-t-elle affirmé face aux deux dentistes, qui ont plaidé l'erreur médicale. "L'étendue et la systématisation ne laisse aucun doute sur les intentions" du prolifique cabinet, "la machine Guedj est parvenue à réduire la mutilation en une simple escroquerie", a-t-elle asséné d'un ton cinglant.
"L'argent, c'est le carburant de Lionel Guedj, et Jean-Claude (NDLR: le second prénom de Carnot) ne cherche que la réussite de son fils, quel qu'en soit le prix", a-t-elle souligné à l'encontre des deux prévenus, en tête des dentistes en France en 2010, en terme de revenus, avec un chiffre d'affaires de 2,6 millions d'euros. Cette infraction fait penser à une "association de malfaiteurs". Père et fils "ne font plus qu'un pour ce qui est ni plus ni moins qu'un projet criminel", a-t-elle cinglé. Le procès doit s'achever mardi avec les plaidoiries de la défense, avant la mise en délibéré du jugement.