Le dimanche 3 avril 2022 à 19:12
Après Éric Zemmour samedi, c'est le candidat Europe Écologie Les Verts (EELV), Yannick Jadot, qui répond à nos questions ce dimanche.
Quel bilan faites-vous du quinquennat écoulé en matière de sécurité ?
Yannick Jadot : D’évidence, il n’est pas aussi bon que le claironne le ministre de l’Intérieur. Je ne veux pas polémiquer en le disant, car je sais qu’en matière de sécurité publique, il est toujours difficile d’imputer à un seul gouvernement la responsabilité d’une situation dont nous savons, si on parle honnêtement, qu’elle est difficile et déjà ancienne. Mais justement, cela devrait inviter les responsables publics à un peu plus de modestie. Les chiffres ne sont pas bons, et je reprends là ceux du Ministère de l’Intérieur : les atteintes aux personnes sont en forte hausse depuis le début du quinquennat, avec des pointes à + 82% pour les violences sexuelles et +57% pour les violences intrafamiliales.
Certes, une part de ces hausses s’explique par un meilleur taux de déclaration. Mais les escroqueries ont également progressé de 30%, avec par exemple une explosion de la cyberdélinquance. Et c’est là où l’on touche, je crois, ce qui fait défaut à ce gouvernement comme, soyons justes, à ceux qui l’ont précédé : prisonnier de dogmes comptables, il est resté enfermé dans l’idée que la police et la justice pouvaient continuer de vivre sans moyens adaptés, avec des budgets dégradés. C’est pour moi l’un des points majeurs du bilan.
La police doit être exemplaire, c’est certain, et je n’ai aucune complaisance pour les bavures, dont on constate à chaque fois douloureusement combien elles peuvent aggraver des situations déjà tendues et dégrader les relations entre police et population. Mais pour que la police soit exemplaire, il faut qu’elle ait les moyens d’être exemplaire ! Sinon, ça ne peut pas fonctionner.
J’ajoute un point essentiel, puisque vous savez sans doute que je suis favorable, comme le sont depuis longtemps les écologistes, à la légalisation du cannabis. Le gouvernement se vante également de la guerre qu’il fait aux trafics de drogue, alors que celle-ci est symptomatique de la politique du chiffre que subissent les policiers. La police est surmobilisée par des efforts vains de répression de la consommation de cannabis, qui ne fait que déplacer les points de deal, alors que son action devrait être concentrée sur la grande criminalité, le démantèlement des réseaux et les atteintes aux personnes (notamment les violences faites aux femmes et aux enfants, que les confinements et la crise sanitaire ont fait exploser). Deux chiffres simplement, pour dire l’absurdité de la manière dont est menée la guerre à la drogue : la hausse de 38 % des mis en cause pour usage de stupéfiants en 2021 et, en 2020, les interpellations pour usage simple qui représentaient 81% du total des interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Se concentrer sur les simples consommateurs d’un produit aujourd’hui banalisé, ce n’est pas une politique de sécurité efficace - et, par ailleurs, c’est une politique de santé désastreuse.
Les policiers et gendarmes se disent entravés au quotidien par des lourdeurs procédurales et par le poids de missions non cœur de métier. Que proposez-vous pour que leur action de tous les jours se concentre effectivement sur les missions de sécurité à proprement parler ?
D’abord, je partage votre constat. Le taux de présence des policiers sur le terrain affiche une baisse continue -37% en 2021. Les effectifs de la police ont certes augmenté, mais cette hausse ne s’est pas opérée de la même manière dans tous les services. Ainsi, alors qu’ils ont augmenté de 31% dans la police des étrangers et les transports aériens depuis 2011, ils ont baissé de 10% dans les services de sécurité publique. De tels choix budgétaires sont-ils de nature à garantir la sécurité publique ? Je ne le pense pas.
Je veux rétablir une véritable police nationale de proximité. Elle a été, sous Nicolas Sarkozy, très injustement critiquée et caricaturée. Je suis pourtant convaincu que les policières et les policiers aspirent bien davantage à être, auprès de leurs concitoyens, des agents de paix que des justiciers chargés de rétablir énergiquement l’ordre. Je veux donc recentrer le rôle de la police nationale et de la gendarmerie sur le cœur de leurs missions de service public, avec un souci d’égalité territoriale pour les quartiers de la politique de la ville. Je souhaite un retour à la présence sur le terrain, auprès des populations par des patrouilles, des contacts, de la médiation et du renseignement. Bref une présence qui rassure et qui encadre plutôt que des interventions incessantes qui tendent les rapports sociaux. Je renforcerai également les missions de prévention et de médiation des policiers, dont la formation sera revue : elles sont cruciales pour réduire la délinquance et la récidive. Je mettrai un terme à la politique du chiffre : cela n’a aucun sens de publier mensuellement des statistiques quand on a cassé le thermomètre qui permettait d’en dire la valeur - je pense à l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONRPD).
Une note de la Cour des comptes de novembre 2021 révèle que le taux d’élucidation des homicides, des violences volontaires et des cambriolages a baissé. Le grand judiciaire comme le petit judiciaire vont mal. La filière n’attire plus. Quelles sont vos propositions pour revaloriser cette filière tant en police qu’en gendarmerie ?
La police nationale connaît depuis plusieurs années une désaffection de l’ensemble de la filière investigation, particulièrement dans le ressort de la préfecture de police de Paris. Les conditions d’exercice se sont en effet dégradées en Ile-de-France où les officiers de police judiciaire sont en nombre insuffisant pour répondre aux besoins. Cette situation ne permet ni de conserver les effectifs à long terme, ni de s’assurer de leur bonne répartition sur le territoire.
Au cours de mon mandat, je m’engage à créer des effectifs dans les services en tension, en particulier en matière d’investigation judiciaire ou de police de l’environnement. Je compte également revaloriser les salaires et ouvrir de réelles perspectives de carrière. Je procéderai ainsi immédiatement à la revalorisation du point d’indice, pour tous les métiers du secteur public.
Mon soutien à la police républicaine a parfois été mal compris dans mon propre camp, je l’entends. Pour autant, il est pour moi tout à fait logique : je veux être le président d’une République forte, capable de retisser les liens distendus entre nos concitoyens, et je sais la part essentielle que peuvent prendre dans ce combat les services publics. Tous les services publics : l’école, l’hôpital, la justice, mais aussi la police et la gendarmerie.
Le nombre de suicides dans les rangs de la Police et de la Gendarmerie sont en recrudescence ce début d’année 2022. Quelles sont vos propositions concrètes pour endiguer ce fléau ?
La police et la gendarmerie sont en première ligne face à la violence sociale, elles sont parmi les premières digues face aux tensions qui traversent la société. Leurs agents méritent toute notre reconnaissance. Je sais la détresse vécue par la profession, la violence, la perte de sens. Je pense à ce jeune policier de 22 ans, à Marseille, qui se donnait la mort le 23 janvier dernier, cinq mois après son choix d’affectation dans les quartiers Nord.
La vraie réponse, c’est d’offrir aux fonctionnaires les moyens d’accomplir leur mission avec des effectifs, moins de charge de travail, des carrières attractives, du matériel et des locaux de qualité, des formations qui ne les mettent pas en échec, voire en danger. C’est aussi redonner du sens au métier, en priorisant les vrais impératifs en termes de missions et en mettant un terme à la politique du chiffre. Il faut reconstruire un nouveau pacte de sécurité et de confiance entre nos forces de l’ordre et la population, qui garantira la sûreté et la sécurité de toutes et tous, partout. Nous remettrons au cœur du travail de la police et de la gendarmerie leur mission première : celle de protéger, d’assurer la sécurité tout en garantissant les libertés fondamentales de chacune et de chacun. L’apaisement vers lequel nous voulons amener l’ensemble de la société passe aussi par une relation respectueuse entre les citoyens et la police. Respect des droits, de la dignité, des libertés.
La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur a été présentée en conseil des ministres le 16 mars. Si vous êtes élu président de la République, changerez-vous ce texte ? Si oui en quoi ?
Je ne reviendrai pas sur les mesures retenues dans la loi d’orientation et de programmation dont certaines sont à saluer comme la simplification de la conduite des enquêtes et l’accélération des procédures, sous réserve du respect des libertés fondamentales et dès lors que la dématérialisation n’accroît pas la fracture numérique pour les usagères et usagers les plus éloignés du service public. Pour autant, certaines mesures, bien que nécessaires, sont incomplètes et il est nécessaire d’aller plus loin.
Je pense par exemple au doublement des effectifs policiers sur la voie publique. C’est une mesure indispensable, qui doit être mise en œuvre avant 2030, comme il est prévu aujourd’hui. Il faut remettre des effectifs sur le terrain le plus rapidement possible. De même, la mise en place d'une instance de contrôle parlementaire des forces de l'ordre et le fait de rendre publics les rapports de l'Inspection générale de la Police nationale (IGPN) sont des mesures qui vont dans le bon sens. Pour ma part, je compte garantir l’indépendance des organes de contrôle en fusionnant l’IGPN et l’inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN) en un organisme unique, indépendant du ministère de l’Intérieur, rattaché au Défenseur des droits.
Enfin, il faut aujourd’hui revoir la formation des policières et policiers. Il est prévu d’ajouter quatre mois de plus à leur formation initiale pour revenir à un total de douze mois de formation et d’augmenter de 50% la durée de la formation continue. Mais il convient de relever que c’est le gouvernement actuel qui avait décidé de raccourcir durablement la durée de la formation initiale à huit mois, pour des raisons strictement budgétaires, encore une fois. Le ministre de l’intérieur a lui-même reconnu qu’il s’agissait là d’une « erreur fondamentale ». Dont acte. Nos forces de l’ordre méritent mieux.
Comment imaginez-vous la police et la gendarmerie de demain ?
Je veux que nos policiers et nos gendarmes soient fiers
d’exercer leur métier. Je veux redonner à ces professions leur sens
premier : protéger nos concitoyennes et concitoyens. Je veux
qu’elles et ils l’exercent dans la dignité, avec des équipements
proportionnés et des locaux dans un état optimal, qui les mettent
en capacité d’accueillir dignement des
victimes d’infractions au parcours pénal encore trop complexe et
qui ajoutent aux traumas. Je souhaite des forces de l’ordre
sensibilisées au sexisme et à toute forme de discrimination pour
leur permettre de mieux protéger les personnes particulièrement
vulnérables.
Je veux une police de proximité, présente sur les terrain, identifiée par la population, pour le plus grand bénéfice de ses conditions de travail qu’on ne peut plus laisser se dégrader. Les drames qu’engendre le mal-être de nos forces de l’ordre ne sont pas acceptables au regard de l’importance de leur mission républicaine.
Je veux une « police du XXIe siècle » adaptée aux enjeux traditionnels de sécurité, tout en anticipant les nouveaux défis, en particulier la cybercriminalité ou ceux qui relèvent du changement climatique. L'organisation et les missions de sécurité doivent donc répondre aux besoins présents et futurs et ainsi garantir les droits de toutes et tous en respectant les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité.
Je veux une police en laquelle nos concitoyennes et concitoyens ont confiance, parce qu’elle protège leurs libertés. Une police qui n’est pas mise en échec par des injonctions contradictoires et appuie par exemple sa doctrine de maintien de l’ordre sur les principes de non-violence, de désescalade, de légitimité, de nécessité, de proportionnalité et de précaution.