Le samedi 30 avril 2022 à 17:28
L’affaire du Pont Neuf n’en finit plus de faire parler. Ce 1er mai, un rassemblement de policiers est prévu à 16 heures place du Châtelet à Paris. Lundi 2 mai, des rassemblements sont annoncés à Paris, à Lyon, à Bordeaux ou encore à Strasbourg. Chez les policiers, la mise en examen pour homicide volontaire ne passe pas. Et chez les détracteurs de la Police, l’usage de l’arme ne passe pas, non plus.
Depuis une semaine, les slogans ont un air de déjà vu : « le problème de la Police, c’est la Justice » pour les uns, « la Police tue » pour les autres. Chaque camp aux intérêts politiques bien compris dans un contexte d’élections législatives à venir, récupère une affaire d’usage de l’arme par un fonctionnaire de Police pour remobiliser sa base militante, au prix d’un double mépris de la présomption d’innocence et des procédures d’instruction. Car, est-il besoin de le rappeler, dans un État de droit comme la République française, un chef de mise en examen n’a jamais constitué une reconnaissance de culpabilité, ni avant, ni maintenant.
Alors que nous dit cette affaire ?
Sur le plan des faits tout d’abord, et en l’état de nos informations, dimanche soir, aux environs de 23 heures, un premier policier s’approche d’un véhicule suspect, quai des orfèvres à Paris. C’est alors que le conducteur démarre soudainement et fonce sur un binôme de policiers également présent dont l’un d’eux fait usage de son arme. Ce dernier touche mortellement le conducteur du véhicule ainsi que le passager avant et blesse le passager arrière. Reste désormais aux deux enquêtes ouvertes (celle relative à l’usage de l’arme par le policier et celle relative à la tentative d’homicide volontaire sur personnes dépositaires de l’autorité publique par le conducteur) de préciser davantage le déroulé de ces faits et à la Justice d’établir, au terme de la procédure, si la légitime défense est retenue.
Sur le plan du contexte ensuite, nul ne peut contester que le nombre de refus d’obtempérer auxquels doivent faire face les policiers et gendarmes chaque année en France (environ 25 000, soit un toutes les 30 minutes) les expose à un risque d’atteinte à leur vie à chaque contrôle routier. Qu’il s’agisse de ce policier du Mans, âgé de 43 ans et père de trois filles, mort dans la nuit du 5 au 6 août 2020, après avoir été traîné par le véhicule d’un chauffard ivre qui tentait de se soustraire à son contrôle ou de la majore de Gendarmerie Mélanie Lemée, décédée en service le 4 juillet 2020 à Port-Saint-Marie, dans le Lot-et-Garonne, après avoir été percutée par un automobiliste voulant éviter le dispositif d’interception sur lequel elle était engagée, des policiers et gendarmes, toujours trop nombreux, perdent la vie lors d’opérations de contrôle routier.
Dès lors, vouloir amoindrir la dangerosité des contrôles routiers pour dénoncer l’usage des armes par les forces de l’ordre et ainsi flatter les bas instincts d’une certaine frange de l’électorat, c’est non seulement irresponsable mais, en outre, cela salit la mémoire des policiers et gendarmes morts dans l’accomplissement de leur devoir.
De même, contester la dotation des policiers et gendarmes en HKG36 en minorant le niveau de la menace jihadiste ou en atténuant la place du véhicule bélier au nombre des modes opératoires terroristes, dénote une double méconnaissance de l’état de la menace et de la nature des attentats passés. Dans un contexte où le terrorisme tue chaque année en France depuis 2015 et où un attentat est déjoué tous les deux mois en moyenne depuis 2017, le HKG36 a permis de mettre fin à plusieurs périples meurtriers de terroristes à l’instar de ce fonctionnaire de Police courageux qui, le 3 octobre 2019, neutralise Mickaël Harpon dans l’enceinte de la préfecture de police de Paris, après que ce dernier a ôté la vie à quatre personnes et blessé deux autres. Quant à l’usage de véhicules pour commettre des attentats, les exemples sont tristement nombreux : à Nice le 14 juillet 2016, à Berlin le 19 décembre 2016, à Londres le 22 mars 2017 sans oublier Levallois-Perret, le 9 août 2017, où 8 militaires de l'opération Sentinelle ont été la cible d'un jihadiste voulant les écraser avec sa voiture.
Sur le plan du droit enfin, le chef de mise en examen du policier mis en cause fait débat. Il est vrai que l’homicide volontaire implique une intention de donner la mort par définition éloignée de l’état d’esprit d’un policier ou d’un gendarme faisant usage de son arme en situation de danger, sauf à démontrer que l’usage de l’arme était dicté par d’autres raisons que la nécessité de se protéger comme, par exemple, l’intention de se venger. Au cas d’espèce et en l’état des informations rendues publiques, rien ne porte à croire que le policier mis en cause connaissait le conducteur ou les passagers du véhicule, ni qu’il avait l’intention délibérée de leur ôter la vie. De fait, là où la qualification généralement retenue est celle de « violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner », retenir la qualification « d’homicide volontaire » consiste en une application stricte de la jurisprudence de la part des magistrats qui considèrent, ab initio, que l’usage de l’arme serait illégitime.
Cette qualification initiale, naturellement, se discute (le fait que le parquet n’ait pas été suivi dans ses réquisitions prouve d’ailleurs que plusieurs lectures du dossier sont possibles) mais il s’agit là de controverses juridiques. En la matière, force est de rappeler que la présomption d’innocence s’applique et qu’il ne s’agit, dans tous les cas, que d’une qualification de départ. Or, s’il y a une qualification qui doit compter, ce n’est pas tant celle de départ que celle d’arrivée, c’est-à-dire à la fin de de la procédure d’instruction quand la Justice aura à se prononcer sur les faits en question, au terme d’un débat judiciaire. En droit, les qualifications sont toujours évolutives. Et d’ailleurs, lorsqu’un véhicule fonce sur des policiers et gendarmes, ne constate-t-on pas que le conducteur est généralement poursuivi du chef de tentative d’homicide volontaire avant d’être jugé, le plus souvent, pour des faits de violences volontaires avec arme ? Les évolutions de qualification valent pour tous les justiciables et les policiers et gendarmes ne font pas exception.
Dès lors, s’en prendre avec une telle véhémence à l’autorité judiciaire est à la fois contre-productif et dangereux pour notre démocratie. S’attaquer nommément au travail des magistrats fragilise le bon déroulé de l’instruction et ralentit l’émergence de la vérité judiciaire. Reprocher à la Justice une forme d’angélisme institutionnalisé est une accusation tout aussi englobante et toxique que celle de violences policières systémiques charriée par les détracteurs de la Police. Cette opposition n’est pas un jeu à somme nulle mais bien à somme négative. Elle n’est pas seulement stérile. Elle est aussi nuisible. La Police, comme la Justice, sont des administrations perfectibles et réformables. Nul ne le conteste. Mais la Police, comme la Justice, ne peuvent souffrir d’accusations excessives qui, par performation, entament leur légitimité démocratique et entravent leur action au quotidien.
En démocratie, Police et Justice sont les deux hémisphères d’un même monde : celui de l’État de droit. S’obstiner à les ériger en deux mondes contraires, c’est sacrifier le vivre ensemble sur l’autel d’avantages politiques et catégoriels aussi éphémères que funestes.