Le lundi 14 mars 2022 à 12:29 - MAJ lundi 14 mars 2022 à 13:00
Le 8 mars dernier, le corps sans vie d’un fonctionnaire de police affecté au commissariat de Draguignan, dans le département du Var, est retrouvé à son domicile : il s’y est donné la mort. Brigadier-chef à la sûreté urbaine marié et père de trois enfants. Quelques jours plus tôt, un autre policier a, lui aussi décidé de mettre fin à ses jours. Âgé de 32 ans, il s’est jeté du haut du viaduc de Millau, dans le département de l’Aveyron. Depuis le 1er janvier 2022, 18 policiers se sont ainsi ôtés la vie, soit un suicide tous les quatre jours en moyenne dans les rangs de la Police nationale.
En 25 ans, malgré une tendance générale à la baisse toutes choses égales par ailleurs, rien ne semble véritablement endiguer ce fléau. Les années de pic (1996, 1998, 2014, 2019) et de baisse relative (2005, 2010, 2016, 2018, 2020 et 2021) s’entremêlent, sans que jamais le nombre de suicides ne tombe sous la barre des 30 par an. Sur la période observée, la moyenne, terrible, reste de 45 suicides par an, soit près d’un par semaine.
Face à de tels chiffres, le ministère de l’Intérieur s’est, très tôt, attaché à sérier les causes de cet inquiétant phénomène. Au nombre de celles généralement avancées, figurent la dureté psychologique d’un métier au contact quotidien des victimes et de la misère sociale, l’exposition permanente à la mort, la dégradation des conditions de travail, notamment matérielles, les cycles horaires qui laissent peu de temps à consacrer à ses proches, la charge mentale du service qui conduit à s’oublier soi-même, l’isolement qui accroît les sentiment de solitude et d’incompréhension. Le tonneau des Danaïdes de la lutte contre la délinquance, percé de lourdeurs administratives et procédurales, consume jour après jour l’énergie des policiers animés de la plus sincère volonté de servir, jusqu’à les faire douter du bien-fondé de leur engagement. Accablés du poids d’un métier qu’ils avaient rêvé avant de le subir, les policiers trouvent dans le suicide une funeste et terrible échappatoire.
Alors que le taux de suicide moyen en France est de 14 pour 100 000 habitants, celui de la Police nationale, de 29 pour 100 000 agents sur les cinq dernières années, est plus de deux fois supérieur : terrible illustration statistique du malaise policier en France…
Au sein de la Direction générale de la police nationale, nul ne reste inactif. Le 20 janvier 2022 dernier, le Directeur général de la Police nationale, Frédéric Veaux, réunissait un CHSCT extraordinaire, où il faisait part, notamment, de sa volonté de renforcer le réseau des agents dits "sentinelles", issus de tous les corps de la Police nationale et chargés de repérer les agents qui présentent des signes de fragilité ou des risques de passage à l’acte suicidaire. L’objectif affiché est d’en former 1950 d’ici la fin de l’année 2022. Parmi les autres engagements pris ce jour-là, figure aussi celui de développer la pratique du sport dans un contexte où, malgré les bienfaits de l’exercice physique sur la cohésion d’un groupe, rares sont les policiers qui réalisent les deux heures minimales de sport hebdomadaires prévues par les textes, faute de temps et d’infrastructures disponibles.
Parfaire les politiques de prévention du suicide passe, par ailleurs, par la prise d’initiatives fortes dans de multiples domaines dont celui du stockage de l’arme de service, en cause dans plus d’un suicide sur deux. Au sein de la Police nationale, les casiers individuels où les policiers qui le souhaitent, peuvent déposer leur arme individuelle pour éviter d’avoir à l’emporter à leur domicile, gagneraient, à cet égard, à être généralisés. Enfin, les exemples étrangers mériteraient d’être analysés de plus près en vue de leur duplication en France. Très souvent cité en exemple, le protocole national israélien dit des "6C" se diffuse peu à peu en Europe mais tarde à se généraliser dans les rangs de la Police nationale. Initialement destiné à sortir les soldats de leur état de sidération post-traumatique pour les rendre à nouveau opérationnels, ce protocole a été étendu avec succès aux acteurs israéliens de la sécurité civile (policiers, pompiers, professions médicales, etc.). Découpé en six étapes clé, il permet de rassurer une victime en lui confiant des actions simples à réaliser, parfois sur le lieu même de son traumatisme, pour la faire ainsi passer d’un état de choc à un état de maîtrise.
Au demeurant, quels que soient les effets de ces mesures sur la réduction du nombre de suicides au sein de la Police nationale, l’endiguement de ce fléau ne peut, ni ne doit reposer sur la seule action du ministère de l’Intérieur. Présenter les concours, les réussir, se former puis revêtir son uniforme chaque jour sont autant d’étapes d’une démarche personnelle, souvent intime, qui conduit les policiers, à s’engager pour les autres. La Police nationale est une force humaine. Policier est un métier d’humanité. Confronté à la violence sociale, tout humain engagé qu’il soit policier, pompier, soignant, aidant ou tout simplement bénévole, doute. Et face à ce doute, la reconnaissance de la Nation aide à tenir. Dès lors, dire publiquement « détester la Police », la faire huer en réunion publique, recouvrir les murs de l’acronyme haineux ACAB et aller jusqu’à le reproduire sur la plaque commémorative de Xavier Jugelé ou encore, faire de l’injonction inhumaine « suicidez-vous !» un slogan de manifestation, prive les policiers de la part de reconnaissance que leur engagement doit appeler chez tous les citoyens, sans la moindre exception.
Le chêne de la liberté symbolise la robustesse, la stabilité et l’unité de la République française. Ses racines sont profondes et relient chaque citoyen aux valeurs républicaines. Son tronc est solide comme la permanence et la continuité de l’État. Ses branches sont agiles comme les administrations face aux crises. Reste alors que le citoyen, arboriste tant par héritage que par devoir, en prenne soin. Chaque suicide de policier en entaille l’écorce. Si bien que, face au suicide des policiers, la Nation toute entière est responsable.