Le lundi 23 mai 2022 à 20:52
Vendredi dernier, c’est l’affluence des grands jours dans la cour de l’Élysée. Le secrétaire général, Alexis Kholer, s’apprête à faire connaître la composition du premier gouvernement d’Élisabeth Borne. A quelques dizaines de mètres de là, la Place Beauvau ne vit toutefois pas au rythme des passations de pouvoir. Pas d’orchestre de la Police nationale, de ballet de voitures, ni encore moins de directeurs généraux en rang dans la cour pavée. L’ambiance est calme. Gérald Darmanin attend sereinement l’annonce de la prolongation de son mandat à la tête du ministère de l’Intérieur avec pour seul (faux) suspens celui de son rang dans l’ordre protocolaire : il est, désormais, numéro 3 du Gouvernement.
Deux ans plus tôt, le 7 juillet 2020, jour de sa prise de fonction dans cette même cour de l’Hôtel de Beauvau, l’ambiance est pourtant bien différente.
Quelques jours auparavant, Christophe Castaner, de plus en plus contesté, pose fièrement dans son bureau pour Le Parisien, disant « vouloir rester » ministre de l’Intérieur et assumer « bousculer les choses ». Mais l’étau se resserre déjà sur lui. D’un côté, chez les forces de l’ordre, ses saillies sur « le croche patte à l’éthique », ses palinodies sur « la clé d’étranglement », son approximation sur les « soupçons avérés » et, plus encore, ses propos ambigus sur l’affaire George Floyd, ne passent pas. De l’autre, à l’Élysée, sa crédibilité est, là-aussi, entamée. Après la démission fracassante de Gérard Colomb et la vacance de poste comblée en hâte par Édouard Philippe, Emmanuel Macron a conscience que ses chances de présenter un bilan sécurité acceptable en 2022, s’amenuisent.
Il est vrai que, dès l’automne 2018, la crise des Gilets jaunes ébranle le ministère de l’Intérieur. Elle y laisse des séquelles considérables dans les rangs de la Police et de la Gendarmerie nationale, mal compensées par le protocole social négocié en hâte au mois de décembre 2018. Début 2020, à peine la pression des samedis de manifestation retombée, voilà que la crise sanitaire met à nouveau à l’épreuve la Place Beauvau. Les propos flous sur le port du masque par les fonctionnaires de Police, jugé dispensable avant d’être finalement rendu obligatoire, accentuent la défiance des policiers et gendarmes envers l’Exécutif.
Plus de trois ans après le début du quinquennat, le bilan n’est effectivement pas au beau fixe. En 2017, 200 millions d’euros de crédits gelés sont annulés. En 2018, 2019 puis 2020, les crédits d’équipement de la Police et de la Gendarmerie sont votés à la baisse. Outre ces coupes claires, rares sont les réformes véritablement engagées au ministère de l’Intérieur. Au printemps 2020, le livre blanc de la sécurité intérieure n’est toujours pas paru. La loi de programmation annoncée n’est pas prête et le moral des troupes s’en ressent. Dans les rangs de la majorité, le député Jean-Michel Fauvergue s’impatiente : son rapport sur le continuum de sécurité nationale date de septembre 2018 et depuis… rien.
A son arrivée, la marche est haute pour Gérald Darmanin. Il doit imprimer sa marque tant sur le plan politique que sur le plan administratif.
Côté politique, il assume un style direct et des mots clivants. Dans Le Figaro, il ose le mot tabou d’ « ensauvagement » croisant le fer, à distance, avec le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, qui affirme, dans le même temps, que « la France n’est pas un coupe-gorge ». En pleine affaire Samuel Paty, Gérald Darmanin se dit, sur l’antenne de BFMTV, choqué par la présence de rayons halals dans les supermarchés s’attirant les foudres de l’extrême-gauche. Quelques semaines plus tard, au plus fort de l’affaire dite Zecler il reconnait sur le plateau d’Anne-Sophie Lapix que parfois les policiers « déconnent ». Le discours détone. Près de 20 ans plus tôt, un certain Nicolas Sarkozy ne se serait sans-doute pas exprimé en des termes différents.
Côté administration, Gérald Darmanin fixe des actions prioritaires, évite les chausse-trappes et saisit les opportunités.
Le jeune ministre de l’Intérieur, intègre vite que sa place n’est pas derrière les forces de l’ordre mais bel et bien devant. Dès son arrivée, il leur fixe un cap. Les politiques prioritaires sont au nombre de trois : la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, la lutte contre les trafics de stupéfiants et la lutte contre l’islamisme. Chaque mois, il convie la presse à une présentation des résultats. Peu à peu, les chiffres s’améliorent : le nombre de policiers formés à l’accueil des victimes augmente, les saisies records de drogue s’enchaînent et les expulsions d’étrangers radicalisés sont négociées pied à pied avec les pays d’origine. Corollaire de ces résultats, la confiance des Français dans la Police, dégradée à l’occasion des manifestations de Gilets jaunes, remonte. En 2022, trois Français sur quatre déclarent désormais avoir confiance dans les forces de l’ordre. Seule ombre au tableau, les chiffres de la délinquance où la baisse des atteintes aux biens ne fait oublier ni l’augmentation significative des atteintes aux personnes, ni la dégradation des taux d’élucidation des homicides et des cambriolages.
Comme tout ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin trouve, bien sûr, des pièges sur sa route. Mais il les retourne un à un. Le Beauvau de la sécurité est négocié directement entre les syndicats de Police et le président de la République sans l’associer ? Il le transforme en un enterrement de première classe du livre blanc de la sécurité intérieure et y trouve un moyen commode de fixer les exigences syndicales neuf mois durant. L’article 24 de la loi sécurité globale embolise l’examen du texte devant le Parlement ? Il allume le contrefeu des sept péchés capitaux de la Police nationale, étrillant au passage le bilan de son prédécesseur en termes de formation, de matériel et de contrôle interne. Les parlementaires de la Commission des lois encaissent.
Gérald Darmanin, sait, enfin, saisir les opportunités. Ancien ministre des comptes publics, il sait aussi qu’en matière budgétaire, certains trains ne passent qu’une fois. Fin 2020, le gâteau du plan de relance est posé sur la table et Gérald Darmanin pèse de tout son poids politique pour s’en arroger une grosse part. Les policiers voient ainsi les Peugeot 5008 affluer. Les gendarmes sont gratifiés de 10 hélicoptères et 90 véhicules blindés neufs : du jamais vu ! Fin 2021, ce sont quinze milliards de crédits supplémentaires qui sont annoncés dans le cadre de future Loi de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI). Que peuvent objecter les syndicats de police ? Début mars 2022, les neufs organisations syndicales représentatives, signent, pour la première fois et à l’unanimité le protocole adossé à la future LOPMI. Le dialogue social s’est apaisé. Le bilan du quinquennat est rattrapé.
Dès lors, au soir du second tour de l’élection présidentielle, qui mieux que Darmanin peut succéder à Darmanin ? Pour le ministre, il n’y a plus qu’à attendre l’annonce de la composition du prochain Gouvernement.
Sous la Vème République, les ministres de l’Intérieur qui retrouvent Beauvau après l’avoir quitté sont rares : Pierre Joxe en 1988, Charles Pasqua en 1993 puis Nicolas Sarkozy en 2005. De façon tout à fait inédite, Gérald Darmanin se succède à lui-même sans avoir à interrompre son action. Il pourra ainsi poursuivre l’ambitieux chantier de modernisation de la Police nationale qu’il a amorcé quelques mois plus tôt. Articulé autour de trois volets, il prévoit la réorganisation territoriale de la Police, la refonte de sa direction ressources humaines et sa numérisation accélérée. Rien que ça ! De Clemenceau ou de Joxe, chacun jugera de qui tient ce ministre réformateur. Toujours est-il que depuis Bernard Cazeneuve, aucun ministre de l’Intérieur n’avait conduit autant de réformes.
Pour toutes ces raisons, il sera difficile de succéder à Gérald Darmanin place Beauvau. Lorsque ce jour viendra, la passation de pouvoir sera très regardée. C’est indéniable. Chacun voudra alors savoir qui remplace Gérald Darmanin. Mais ce jour-là, peut-être plus encore, la place Beauvau sera curieuse de savoir qui Gérald Darmanin remplace…