Le mercredi 16 février 2022 à 19:41
"On connaissait parfaitement (sa) dangerosité" : une préfète a rouvert mercredi devant la cour d'assises spéciale de Paris le débat autour d'un éventuel raté dans la surveillance des jihadistes qui ont perpétré l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray en juillet 2016. Adel Kermiche, l'un des deux assassins du père Hamel, "était un type dangereux" avec un "dossier psychiatrique et terroriste (...) très épais", a souligné Nicole Klein, préfète de Seine-Maritime et de Normandie entre janvier 2016 et mars 2017.
Cet islamiste radical de 19 ans, qui résidait à Saint-Etienne-du-Rouvray, avait fait irruption dans l'église en compagnie d'Abdel-Malik Petitjean, tuant le prêtre de 85 ans et blessant grièvement un paroissien octogénaire, Guy Coponet. Les deux assaillants avaient été tués sur place par la police.
Fichés S
La cour juge depuis lundi trois membres de leur entourage et, en son absence, l'instigateur présumé de l'attaque, Rachid Kassim, probablement mort en Irak en 2017. Après l'attentat, les informations selon lesquelles les deux assassins étaient repérés par les services de renseignement (fichés S) et Adel Kermiche était porteur d'un bracelet électronique après deux tentatives de départ en Syrie, avaient provoqué une vive polémique.
"Il n'y a pas une réunion où on n'ait pas parlé de lui", a assuré à la barre Nicole Klein, à propos des réunions de sécurité hebdomadaires qui se tenaient à la préfecture, avec des représentants de la police judiciaire et des services de renseignement. "Quand on a appris que la juge" avait décidé sa remise en liberté conditionnelle en mars 2016, considérant "qu'il était sorti du prosélytisme, je me rappelle qu'on s'est dit qu'on n'y croyait pas une seconde", a-t-elle ajouté, évoquant notamment la persistance de sa fréquentation d'un "petit groupe de jeunes salafistes" au sein de la mosquée de Saint-Etienne-du-Rouvray.
"Mais on ne pouvait rien faire, à part surveiller ses faits et gestes", a-t-elle estimé, soulignant qu'Adel Kermiche respectait les obligations de sa liberté conditionnelle et confessant un "sentiment d'échec" après l'attentat.
Le 26 juillet 2016, c'est peu après 9H00 qu'on voit le jeune homme - autorisé à sortir de chez lui entre 8H30 et 12H30 - se diriger vers l'église, vêtu d'une veste de camouflage, selon les images de vidéosurveillance présentées mardi à la cour par un membre de la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire.
Selon le récit fait par le policier en audioconférence, dans un silence recueilli du public de la salle d'audience, Abdel-Malik Petitjean entre d'abord seul dans l'église, demandant des renseignements à l'une des trois religieuses présentes, qui lui suggère de revenir à la fin de la messe.
Neuf plaies principalement au niveau du cou et du thorax
Quelques minutes plus tard, il revient en compagnie d'Adel Kermiche et se dirige directement vers le père Hamel, 85 ans, qu'il force à s'agenouiller. Il lui assène alors de nombreux coups de couteau, entraînant sa mort "en quelques minutes", selon le médecin légiste qui a procédé a son autopsie, venu témoigner mercredi.
Ce dernier dénombrera neuf plaies sur le corps du prêtre, principalement au niveau du cou et du thorax. Son rapport souligne aussi que l'un des coups "a coupé une côte", élément qui montre, selon l'agent de la SDAT, la "violence inouïe de la part d'Abdel-Malik Petitjean", et sa "détermination à porter les coups". Il entraîne ensuite Guy Coponet, alors âgé de 87 ans, sur le côté de l'autel. L'assaillant lui inflige "une plaie transversale (...) sur 21 cm" au niveau de la gorge, a poursuivi le médecin légiste qui l'a examiné deux jours après les faits.
"Oui, vous tirez"
Après l'agression, constatant qu'il saignait abondamment, le paroissien "s'était mis dans une position où il comprimait sa plaie" et "il faisait le mort", "c'est probablement ce qui lui a sauvé la vie", analyse le médecin, les assassins n'étant sortis de l'église que près d'une heure plus tard, une fois les forces de l'ordre arrivées.
Avertie, la préfète Nicole Klein se rend sur place. Alors qu'elle est en route, les équipes d'intervention lui décrivent par téléphone deux jihadistes prêts à sortir de l'église, avec des otages en bouclier humain, l'un d'entre eux porteur d'une ceinture d'explosifs, qui se révèlera factice. "Qu'est-ce qu'on fait, est-ce qu'on tire ?", demandent-ils. "Oui, vous tirez", répond la préfète.